Le 28 Avril dernier, Mr Kayz nous dévoilait son troisième projet BOR2RLINE. 5 ans après le volume 1, Bord3rl1ne, le rappeur parisien revient avec un EP riche en propos. L’occasion pour nous de nous entretenir avec lui.

Avant toute chose, comment vas-tu ?

Ça va, ça va merci, c’est une chouette journée, je suis allé faire un peu de sport ce matin. J’ai été jouer au basket, je suis parti régler deux trois affaires à gauche à droite, donc ouais matinée plutôt cool. Une belle journée avec du soleil.

Tu es présent dans le paysage rap depuis longtemps maintenant, ton dernier projet a 5 ans à peu près, tu as été parfois sous ton nom, parfois dans l’ombre pour d’autres artistes, tu as été signé sur le label de Nicolas Anelka notamment, tu as travaillé avec de grands artistes, comment est-ce que toi tu te décrirais à ceux qui ne te connaissent pas ?

Je me décrirais comme un artiste hip-hop. A savoir que le hip-hop c’est une culture et c’est un truc qui m’a imprégné depuis tout petit tu vois. Et artiste dans le sens où de toutes les manières ce que je fais dans la vie c’est pour réussir à exprimer les choses que je veux faire passer, que ce soit par rapport mes business ou par rapport à la musique en général. Et demain je sais pas si jamais j’avais l’opportunité de faire autre chose, j’ai cette étiquette-là d’artiste parce que je me vois pas faire beaucoup d’autres choses tu vois.

Tu as sorti BOR2RLINE il y a peu, quelles sont tes impressions sur les retours que tu as pu avoir et comment as-tu vécu cette sortie ?

Les premiers retours tu vois, ce qui est super cool c’est qu’on est dans un truc qui est grave organique, la plupart des gens qui tombent sur ma musique c’est la première fois qu’ils tombent sur ma musique. Et c’est marrant de voir à quel point les gens ont pas l’habitude d’entendre ce rap là et à quel point c’est facile pour eux de viber dessus. Et donc du coup je reçois beaucoup d’amour pur tu vois et je reçois beaucoup de réactions spontanées. Ce matin pour le coup j’étais en train d’envoyer les colis de mon merch, et quand je regardais les codes postaux je voyais que c’était partout en France tu vois et c’est un truc où je me dis c’est cool quoi, ma musique elle résonne pas que dans un secteur, donc du coup je suis content. Et en ce qui concerne la sortie, la release était super cool, c’était cool de voir les gens qui te suivent et les gens qui viennent de te rencontrer. C’est une belle chose.

Dans ‘’La faute d’Abdoul pt. 1’’, tu dis une phrase qui m’a interpellé : ‘’Je sais pas ce que je déteste le plus, les mauvais rappeurs ou les médias rap’’, est-ce que tu nous détestes vraiment ?

(Rires) Est-ce que je déteste vraiment les médias rap ? Je crois en un truc, je crois que peu importe la chose que tu fais dans ta vie, t’as le droit de faire ce que tu veux dans ta vie. Mais dans le hip-hop y a une certaine responsabilité, c’est-à-dire que si demain je vends des voiture je peux pas te vendre une voiture qui te mets en danger, ou alors je dois te le dire. Et souvent je vois pas ça dans le rap, je vois pas la part où les médias du rap surfent sur autre chose que le buzz. Le buzz c’est bien mais c’est limité dans le temps et ça peut pas être l’essentiel de ce qu’on fait. Et ma relation aux médias ça a été souvent ça et j’aime bien quand les gens me parlent de quelque chose de plus profond, autre chose que juste du chiffre. Donc est-ce que je déteste tous les médias rap ? Non. Est-ce que j’en attends plus des médias rap ? Oui.

‘’La faute d’Abdoul pt. 1’’ a une suite, ‘’La faute d’Abdoul pt. 2’’, ce Abdoul a l’air d’être assez important pour toi, c’est qui ?

(Rires) Bonne question. Je vais te raconter la petite anecdote qui va avec. Quand je sors Borderline 1 je suis dans une grande major. Qui dit grande major dit réunion, qui dit réunion dit beaucoup de gens qui sont là et qui émettent leurs avis tu vois. Pendant cette réunion là, je suis avec en l’occurrence Abdoul, qui est un pote à moi et qui était mon ancien manager à cette époque-là. Et on se regarde, on entend les idées que les gens de cette maison de disque là nous émettent. Et ça nous propose beaucoup de choses, qui dit beaucoup de choses dit beaucoup de n’importe quoi aussi. Pas que du n’importe quoi mais on te propose de faire des clashs avec des gens, on te propose de construire des trucs qui sont contraires à la personne que je suis tu vois. Donc on sort de la réunion, on est dans l’ascenseur et on éclate de rire. Un jour passe, deux jours passent, et cette réunion-là m’a énervé de ouf, dans le sens où je crois au rap, j’aime le rap et on me propose de faire l’inverse de ça. Donc du coup j’écris un morceau où je fais exactement l’inverse de ce qu’ils me demandent de faire, ça donne la faute d’Abdoul 1. Je l’envoie à Abdoul et il me dit ‘’tu sais quoi, si tu sors ce morceau à ce moment-là ils vont te virer, et t’auras qu’à dire que c’est de ma faute’’ et donc j’ai appelé ce morceau la faute d’Abdoul. Mais en l’ayant écrit je me suis dit : ‘’ok, là y a la partie du feu, là c’est la partie où tu te défends contre quelque chose’’, mais j’aime pas donner que cette énergie-là, j’aime bien aussi donner une énergie plus apaisée, quelque chose d’un peu plus profond et donc ça donne la faute d’Abdoul 2. J’ai eu les 2 et Abdoul voilà qui c’est.

Donc c’est un morceau que tu as fait il y a longtemps déjà ?

La faute d’Abdoul 2 je l’ai écrit plus récemment mais le 1 il doit dater de juste avant le covid je crois.

Je trouve que dans ce projet tu parles beaucoup de ton rapport aux autres, pas toujours en bien. Dans quelle mesure tu penses que ça a eu un impact sur ta musique, justement la vie en société ?

Ma musique est imprégnée de ce que je vis. C’est pas que je parle pas des choses en bien, c’est que la chose la plus intéressante chez les gens pour moi c’est leurs défauts. Si tu arrives bien à maitriser tes défauts ou si tu arrives à faire quelque chose de positif avec tes défauts, tu accomplis quelque chose de grand. Je le fais avec moi pareil, il y a beaucoup de morceaux où j’exprime des choses qui pourraient être catégorisées comme des faiblesses tu vois. Et au final le fait que je le dise c’est aussi ma manière à moi de pouvoir reprendre possession de mes forces. Et au final c’est de l’art tu vois, c’est ça qui est beau, l’imperfection elle est belle. Mais je dis ça aussi pour une autre chose, je dis ça aussi pour aller avec le fait que je trouve que c’est très important de pouvoir maîtriser ton énergie, de savoir où est-ce que t’en mets et de savoir où tu le stockes. C’est un truc que j’aime bien mettre au centre de mes propos.

Sur BOR2RLINE il y a 3 invités, 2 featurings. J’aimerais que l’on revienne sur l’un des deux, sur ‘’Paname est triste’’. Je trouve qu’il résume un peu ton projet, même si il y a des morceaux plus ensoleillés, je trouve que le projet a cette ambiance un peu de grisaille avec des paroles pas toujours joyeuses. Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que c’est volontaire cette espèce de grisaille, et comment s’est faite la connexion avec Eech et Swift ?

Est-ce que c’est une espèce de grisaille ? Je trouve qu’il y a beaucoup de lumière même quand il n’y en a pas. C’est-à-dire que tu prends un morceau comme ‘’Formation’’, le sucré-salé il marche bien, j’appelle ça du sucré-salé. Je vais parler d’un truc qui pourrait être perçu comme quelque chose de négatif dépendamment de la personne que tu es. Mais le truc est très musical, et c’est très ensoleillé comme morceau même si je parle du fait de se protéger des énergies etc… Et ‘’Paname est triste’’, ouais il y a une espèce de mélancolie qui est dedans mais on est pas dans le truc où on est dans le suicide ou tu vois ce que je veux dire, et j’aime bien jouer avec les contrastes. Pour Swift et Eech, Eech je l’avais rencontré à l’époque où j’avais fait un morceau avec Grödash et Eech était signé chez Grödash. Eech et Swift sont potes donc du coup ça avait du sens, Swift est pote avec mon manager donc la connexion s’est faite simplement. C’est grave cool d’avoir ces mecs là en studio parce qu’ils ont l’âme du hip-hop. Ils ont écrit leurs couplets en un rien de temps, on avait même pas réellement de base quand on y était. La séance elle a duré quoi ? Quatre heures. Et on a eu le temps de boucler un morceau, ils ont eu le temps de rapper leurs couplets et c’était cool. J’aime bien voir ça, le côté sport du truc mais le côté profond qu’ils ont du truc.

Il y a Bord3rl1ne, Borderline c’est le nom de ton label aussi, et BOR2RLINE maintenant. Par définition quelqu’un de borderline c’est quelqu’un d’assez instable, pourquoi ce nom ?

Ça a rien avoir avec ça, c’est exactement la même chose que je fais souvent. On va prendre un exemple, borderline la traduction littérale c’est la frontière. Admettons qu’aujourd’hui tu sois un français, quand tu habites en France, on attend de toi que tu agisses comme un français, culturellement ou dans les choses comme ça. Admettons que tu sois Belge, on va attendre de toi que tu agisses comme un Belge. Mais s’il se trouvait que tu étais à la frontière, donc à la borderline, la seule chose qu’il resterait c’est toi, sans tout ce que la société essaie de faire de toi. Et c’est ce vers quoi j’essaie d’aller. Le but de mon label et de ma musique c’est aussi un truc pour pouvoir se libérer des codes de la société et avoir le courage de faire ce en quoi tu crois profondément.

Être authentique en quelque sorte ?

Exactement, même au-delà de l’authenticité, des fois c’est difficile de juste se dire ‘’ouais tu sais quoi je veux pas faire ce truc là parce que c’est pas moi’’. Parce que des fois tu as eu tellement l’habitude de le faire, l’habitude de le voir, que tu te rends pas compte que tu fais des choses par mimétisme. Souvent il te faut un certain recul sur toi, sur les choses, pour pouvoir penser. Juste penser, être à l’aise avec la personne que tu es, avec ce que tu fais. Les choix musicaux que je fais par exemple, tu vas pas entendre de drill. C’est pas que je suis contre la drill, c’est que ça résonne pas en moi. Quand je suis sur scène je suis dans une formation avec une guitariste, avec un saxophoniste, avec un DJ, et c’est pas une formation qui est de fait hip-hop tu vois, mais ça marche bien avec moi. Donc du coup c’est ce que je fais.

Il y a quelques années dans une interview, tu disais que tu cachais un peu à tes proches le fait que tu fasses de la musique, dans le sens où tu disais qu’on te voyait et que tu répondais ‘’non c’est pas moi’’. Là sur le projet il y a une phrase sur ta maman où tu dis que le fait que tu fasses les choses bien la fait vieillir moins vite. Est-ce que maintenant t’es en phase avec le rapport que peuvent avoir tes proches avec ta musique ?

Exactement, ouais ça a grave changé par rapport à ça. Quand j’habitais encore en banlieue, t’as une certaine image qui est liée au fait de faire du rap. On est pas très portés sur le propos, on est portés sur la personne que t’es etc… Ça a jamais été un truc qui m’importait, je veux pas que t’écoutes mon son parce que tu crois que je suis ci ou ça. Je suis moi et je suis bien en étant moi. Je me faisais des montagnes par rapport à ça, tu te dis ‘’les gens ils vont me percevoir comme ci, me percevoir comme ça’’. Au final je me suis rendu compte que ma daronne elle savait déjà que je faisais du rap, je croyais que je lui cachais mais en fait elle était au courant depuis. Et au final, je suis juste à l’aise avec les choses que je dis, du coup simple. Mais c’est sûr que ouais quand je suis rentré dans le marché de la vie de tous les jours j’ai pas envie que les gens viennent et me prennent avec les stéréotypes du rap. Parce qu’au final je suis la personne que je suis et je suis bien comme ça. Les ombres sont toujours plus grandes que le truc en question, tu te fais toujours des montagnes sur comment est-ce que les gens vont le prendre et tout. Au final les gens sont soit très supportifs, soit ils s’en foutent. C’est dans ta tête tout ça.

L’ authenticité dans tes propos et dans ta musique t’as permis de plus facilement en parler ?

De fou, de fou. Il y avait aussi ce truc-là, cette maturité-là, des fois j’avais peur de dire ce que je pensais parce que parfois c’est peut-être à contre-courant de ce qui est en train de se dire dans la société aujourd’hui. Et tu te dis ‘’ouais j’ai peut-être pas les reins assez solides pour pouvoir raconter ce que j’ai envie de raconter là’’, la beauté de la chose vient de là aussi. Parce que t’as envie de raconter vraiment quelque chose qui te tient à cœur.

Ton dernier projet vient de sortir, c’est un peu tôt pour en parler mais comment conçois tu la suite des choses ?

Pour rien te cacher je suis déjà en train de penser au prochain projet. Ça m’a ouvert l’appétit, j’adore les retours que je reçois, j’adore le fait que j’ai encore une place de underdog. J’ai encore cette place là et c’est cool parce qu’en plus la grande différence entre le borderline 1 et le borderline 2 c’est que j’ai eu plus confiance en moi dans le sens des prods, du coup dans le 2 il y a plus de prods à moi. Là comme tu vois j’ai mon setup derrière moi, je suis en train de composer, je pense à des morceaux, j’ai plein de trucs que j’ai pas eu le temps de mettre dans BOR2RLINE, donc je suis déjà en train de penser à la suite. Il y a toute la promotion, il y a les quelques scènes qu’on va faire à gauche à droite avec mon groupe et ensuite attaquer avec le prochain projet. Je sais pas exactement quand, mais d’ici quelques mois je vais certainement commencer à rentrer en studio.

J’avais une dernière question mais tu y as plus ou moins répondu. J’allais te demander s’il y a des dates de prévues, j’ai cru comprendre que oui.

Ouais, j’ai pas les dates sous les yeux là mais faudra rester branché sur mes réseaux sociaux pour pouvoir venir voir les concerts. J’ai hâte de pouvoir venir à la rencontre des gens qui me connaissent, j’ai hâte de pouvoir ramener cette proximité sur scène, c’est vachement cool de me produire avec les gens avec qui je me produis. Et c’est vachement cool de rencontrer les gens, de voir qu’ils sont grave supportifs, et de voir leurs réactions, c’est mortel.