Voix singulière du paysage français depuis le début du siècle, Toma est un artiste honnête, adepte d’une musique épurée et émouvante. Après quelques années d’absence, le chanteur est revenu avec Hypersensible en 2020, toujours avec sa belle prose. Nous vous proposons un retour sur la conception de l’album ainsi que sur les moments qui ont marqué la vie de Toma. En détente, comme d’habitude.

Ta vie a démarré d’une façon particulière car tu as été adandonné puis adopté. Te considères-tu comme un porte-parole des enfants adoptés aujourd’hui ?

Non pas dutout. J’en parle car il faut bien parler de son histoire et cela fait partie de mon identité. En réalité je me considère seulement comme le porte-parole de moi-même et de mes émotions. Tu sais j’ai une fille de 20 ans. En tant que père, ma relation à l’abandon s’est donc estampillée et j’ai pu régler des choses dans mes émotions. Mais il est vrai qu’avec le temps j’ai compris de quelles façons sont fait les gens comme moi. On a tendance à se reconnaître entre nous même si nos personnalités divergent. On a certains traits de caractère et expériences vécues qui sont similaires mais je ne suis aucunement leur porte-parole.

Au cours de ta carrière tu as collaboré avec des grands artistes tels que Kery James ou Mac Tyer. Quelles sont tes relations avec ces derniers actuellement ?

J’ai été très proche de Kery mais la vie nous a éloigné. Nous sommes devenus des pères de famille et nous avons suivi nos projets de nôtre côté. Il y a toujours de l’affection entre nous et on serait content de se voir, mais je pense que mes vrais amis sont hors-musique. Dans mon métier c’est très dur de garder des amis. Tout le monde s’appelle « frérot » mais en fin de compte le business compte plus que tout. Tu lies forcément des relations avec des gens c’est sûr mais c’est souvent le temps d’un projet et ensuite chacun fait sa route.

Tu as exercé un changement majeur dans ta musique au début de la dernière décennie en te tournant vers « la variété »

Pourquoi dit-tu la variété entre guillemets ?

Car la plupart des artistes n’aiment pas être classés dans cette catégorie.

Je ne le prends pas mal du tout, il n’y a aucun mal à faire de la variété. Il y a énormément de courant au sein de cette musique et je pense en faire partie. J’ai toujours fait de la chanson. Je n’ai jamais été un rappeur ni un mec du dancehall et je ne le serai jamais. Si tu écoutes mon premier album nommé Identité, la première chanson est très acoustique avec la guitare, le piano et les basses qui vont avec. La plupart des morceaux de cet album sont des vrais chansons que les jeunes de mon quartier connaissent. Même si j’ai pu être schizophrène avec mon look auparavant, j’ai toujours fait de la chanson et ce qui a vraiment changé avec mon deuxième album fut ma collaboration avec des gens de la chanson française. A ce moment là, je suis sorti d’un courant urbain pour explorer la musicalité.

Il y a une importante mixité de sonorités dans ton dernier album, es-tu arrivé à une symbiose dans ton art avec Hypersensible ?

Non, loin de là. Je pense que le prochain album va être déterminant. Il sera beaucoup moins produit de manière grandiloquente et il y aura plus de place pour ma voix au sein des chansons. Je ne me baserai pas sur des démonstration de flow mais plus sur des chansons sincères et pures avec des êtres humains à la production. On va vraiment retrouver des instruments comme la guitare et le piano qui sont la base de ce que je suis. Je veux vraiment retourner vers cela car la plupart des retours sur mon album sont concentrés sur les morceaux acoustiques, accompagnés par ma voix. Les gens préfèrent en général les versions guitare-voix mis à part les fans de rap. On est dans une période où tout se ressemble un peu dans la musique. Tout le monde fait le même son de voix auto-tuné avec des thématiques similaires.

J’ai vu dans ta story Instagram que tu t’étais mis au piano, est-ce un instrument que tu travailles pour le futur ?

Non c’est ma fille qui jouait du piano (rires). Florian Rossi, mon compositeur, est lui très doué au piano et c’est lui qui prend cette initiative sur mes morceaux. Je pense néanmoins démarrer sérieusement le piano cette année. Cela me manque d’avoir des bases sur cet instrument même si je suis un peu autodidacte.

L’apport du piano donnerait un effet magique sur tes morceaux…

J’aime très fort le piano et la guitare même si le premier s’écoute à petite dose chez moi. J’ai du mal à l’écouter dans le cas de chanson Française à l’instar de la Pop Anglaise ou de la Soul. Mais les deux instruments se marient très bien. J’ai d’ailleurs enregistré des sessions live avec l’association de ces instruments qui devraient sortir en Février.

Ton album est un reflet de notre société en fin de compte. Est-ce ton hypersensibilité qui te pousse à porter de l’attention au monde qui t’entoure ?

Oui c’est sûr. Je ne suis pas un vieux ni un jeune donc j’ai du vécu et de l’énergie. Ecrire deux fois le même morceau est en plus un truc qui ne me branche pas. Je ne parle pas de chose que je ne vis pas et je ne m’invente pas de vie. J’essaye donc d’explorer toutes les émotions qui me traverse et mon hypersensibilité est un atout à cela. Avec le temps un homme à plein d’expériences à décrire. Je trouve qu’on perd cela en ce moment, les sujets sont peu diversifiés sauf pour les meilleurs bien sûr. Par exemple, je trouve que Ninho est bon dans ce domaine même si les thèmes tournent souvent autour de l’argent, la drogue et les femmes très peu respectées. Moi je ne me retrouve pas là dedans. J’aime les femmes, j’aime les gens et j’aspire à la paix et l’apaisement en donnant de l’amour. Je veux que les gens soient en paix, surtout par ces temps qu’on traverse. Je trouve aussi dommage que les jeunes ne prennent plus position, à part quand c’est quelque chose qui les intéressent.

Tu penses que les jeunes devraient prendre position sur quels sujets ?

Sur tout ce qui concerne leur avenir. Je pense que ta génération s’est un peu fait douiller. C’est à dire qu’on a réussi à faire croire aux jeunes que s’ils n’ont pas d’argent, ils ne sont rien. Je pense que c’est la plus grande arnaque qu’on a réussi à faire rentrer dans la tête des jeunes. Certains jeunes poursuivent des rêves futiles, qu’ils n’atteindront jamais à cause de cette illusion. Je pense aussi que les réseaux sociaux sont une plaie pour les relations humaines. Quand on les utilise comme des vrais outils de travail cela me va. Mais toute cette espèce de violence qui se déferle, toutes ces personnes qui s’inventent des vies, qui donnent un avis sur tout est difficile à imaginer pour moi. J’ai grandi à une époque où ton avis importait entre amis, où au bistrot du coin. Aujourd’hui ce bistrot est à ciel ouvert, tout le monde emmène son opinion et les cellules de l’enfance se multiplient à cause du harcèlement scolaire. C’est très difficile de se construire dans cette époque.

Parlons de la composition musicale de Hypersensible. Tu as ramené des sonorités plus planantes, des instruments africains et tu as même pratiqué un peu l’auto-tune. C’était un objectif pour toi de te diversifier au maximum ?

Pour les sonorités africaines j’ai fait appel à Dany Sinthé qui est un copain à moi. Ce morceau est vraiment le Congo dans toute sa puissance. Pour l’auto-tune, je l’ai utilisé à une seule reprise dans le cadre du morceau avec Hatik car il y avait un soucis d’harmonie entre nos voix. Je déteste l’auto-tune pour te dire la vérité. Je trouve que la plupart des artistes l’utilisent comme des bourrins avec quelques exceptions. Avec mon album, j’ai fait un grand buffet à volonté contrairement à mon prochain album. L’album sera plus cohérent bien que Hypersensible le soit également. Je pense que j’ai envie de moins de pluralité.

Comment s’est déroulé ta collaboration avec Dosseh ?

J’essaye de ne pas fonctionner par les maisons de disques pour mes collaborations. Pour Dosseh je suis passé par son manager car c’est un copain à moi. Il s’agit de Oumar Samaké. Un jour j’ai été prendre un café avec lui et il m’a fait écouter des extraits de Vidalo$$a (album à succès de Dosseh) et j’ai été touché par sa musique. Je l’ai donc invité sur le morceau « hypersensible » et il a accepté.

Le clip de votre morceau a accumulé presque 7 millions de vues sur Youtube, ce qui prouve que ton succès est intemporel.

Il n’arrête pas de monter ce titre, c’est un peu inexplicable. Surtout que cette chaîne Youtube est né il y a un peu plus d’un an et demi alors qu’elle totalise onze millions de vues. Pour un mec de la chanson, ce sont des scores honorables.

Tu as toujours le même public depuis 2007 ou c’est une nouvelle génération de fans qui te soutient ?

Je pense que certaines personnes m’ont découvert mais il y a encore beaucoup de fidèles. C’est là que je me rends compte que beaucoup de personnes attendent de moi un côté moins expérimental, notamment par le succès de mes versions acoustiques. L’amour que les gens me portent est très touchant et je tiens à les remercier à chaque interview. Je reçois parfois des messages très émouvants. On m’a par exemple envoyé « ta musique m’a aider à reconnecter avec ma mère » ou « tu apaises ma douleur ». Certaines personnes me disent qu’ils sont en dépression nerveuse et que mon album est une aide au quotidien. Moi je ne fais pas de la zumba et j’en suis très fier, chacun son délire. Je ne fais pas de la musique pour danser en club, je suis là pour parler aux gens de leur vie.

C’est quoi la suite ?

Je vais sortir un album en septembre qui sera beaucoup plus acoustique. J’espère aussi avoir la chance de collaborer sur des albums, pas forcément beaucoup mais sur des projets qui me plaisent. Je veux aussi m’occuper des miens et avoir de l’amour dans le cœur.

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