À l’occasion de la sortie de son nouvel album « Plot Twist » en mars dernier nous avons pu discuter avec Heskis.

Bienvenue à toi Heskis, tu pourrais te présenter un peu ?

Je m’appel Heskis, j’ai démarré le rap en 2002 donc il y a longtemps. Je suis tombé amoureux du rap très jeune. J’ai commencé à 12-13 ans, j’ai arrêté et repris quand j’avais 17 ans et depuis j’y suis toujours, ça a un peu sauvé ma vie. (rires)

Tu as sorti un nouvel album en mars qui s’intitule « Plot Twist », est-ce que tu avais des appréhensions avant la sortie et comment tu te sens maintenant qu’il est enfin sorti ?

Pour être honnête, je n’avais pas spécialement d’appréhensions. J’avais surtout hâte de le sortir. Après comme tous les artistes, on se pose des questions un peu bêtes comme « est ce que les gens vont comprendre ce que je voulais dire ? Là où je voulais en venir ? ». C’était surtout ça les questions que je me posais. Et visiblement l’album fonctionne, je reçois énormément d’amour depuis la sortie, beaucoup de messages. Ce qui me touche le plus, c’est que beaucoup de gens me disent qu’ils se retrouvent dans les thèmes qui sont abordés, qui me remercient d’aborder certains thèmes qui sont trop rarement abordés, comme la dépression, l’hypersensibilité et c’est ma plus grosse satisfaction et fierté depuis la sortie de cet album.

heskis plot twist

C’est ton 2ème projet solo, le dernier date de 2017, pourquoi avoir attendu si longtemps pour sortir un nouveau projet ?

De base, ça n’était pas prévu. J’espérais enchaîner plus vite à l’époque où j’ai sorti « GG Allin », pour plein de raisons, les choses ne se sont pas passées comme prévu donc il a fallu s’adapter. J’ai arrêté la musique en 2018 pendant un an et demi suite à des évènements personnels qui m’ont pas mal plombé. Je m’y suis remis, un peu, par accident, en rencontrant mes frérots GVRVGIST et Plae Casi, 2 compositeurs de bordeaux que j’ai rencontré via l’intermédiaire de mon frérot Joey Larse et c’est en me connectant avec ces mecs là que j’ai eu de nouveau envie de faire de la musique. J’ai commencé à travailler sur ce projet donc ça n’était pas vraiment une pause volontaire. J’ai pris le temps pour bosser ce projet, je savais que je voulais raconter ce qui m’était arrivé quelques années plutôt, c’est à dire le fait de faire une dépression et de tomber hyper bas. Au moment où j’ai vécu ça, j’ai mis du temps mais quand j’ai commencé à en parler avec des proches, je me suis rendu compte qu’on était plein à passer par les mêmes choses, à différents moments de nos vies et j’ai tout de suite su que c’était ça dont j’avais envie de parler donc ça a pris du temps car je voulais le faire correctement puis parce que je voulais que ce soit un projet évolutif, qui ne parle pas juste de dépression mais aussi du fait de lutter contre ça justement et d’essayer de s’en sortir donc il fallait que ma musique fasse du chemin et il fallait que moi je fasse du chemin avec ma musique et tout ça, a pris un petit peu de temps mais je ne regrette pas

Donc cet album a, un peu, été une thérapie pour toi ?

Oui, d’une certaine manière on pourrait dire ça, ça a été l’occasion de tourner une page dans ma vie, d’accepter, ce qui s’était passé et de m’accepter moi aussi.

Est ce que ce que tu as vécu à ces moments là, t’as donné envie de changer des choses dans ta façon d’être un artiste, ta façon d’écrire ? Ça t’as encouragé à évoluer en tant qu’artiste ?

Je pense que les 2 sont liés, je pense qu’on traverse tous certaines phases dans nos vies où on évolue particulièrement, il y a des phases intenses, des fois au moment de ton adolescence, des fois c’est aussi à l’entrée de l’âge adulte. Quand t‘évolues humainement, ta musique fait un chemin et elle fait un vrai chemin uniquement si humainement il y a aussi une évolution donc je pense qu’au final, il y a toujours quelque chose qui est lié là dedans. Moi, il y a eu un moment aussi où j’avais envie, en effet, de changer des trucs chez Heskis. Le Heskis de 2017, en tout cas quand je l’ai regardé avec un peu de recul, je me suis rendu compte que comme plein de rappeurs je pense, je me cachais un peu sous les artifices, sous un personnage au départ, et ce que j’avais envie de faire cette fois-ci, c’était un truc qui soit à 200 % moi.

heskis album
© Jeunedoh

Je voulais vraiment prendre le temps de digérer mes influences, de toutes les assumer et de laisser le truc infuser pour pouvoir créer ma propre sauce après, je pense que tous les artistes quand on démarre, on a tendance à sans s’en rendre compte, à être motivé par certains artistes qui nous bouleverse, qui nous donne envie de faire des choses et pendant les premières années de pratiques artistiques que tu sois chanteur, peintre ou sculpteur, sans t’en rendre compte tu reproduis les trucs que t’as kiffé, tu reprend les codes et t’essayes de te les approprier mais c’est pas exactement les tiens. Je pense que petit à petit, tu apprends à t’émanciper justement de tes influences et à les digérer, à mélanger ça avec le vrai toi donc ouais j’avais envie que ma musique évolue et moi j’avais envie d’évoluer aussi humainement pour pouvoir me trouver et trouver mon style à moi.

Quand t’as commencé ta carrière musicale, quels étaient tes ambitions et est-ce qu’elles ont changé aujourd’hui ?

Mes ambitions quand j’ai commencé, j’en parle dans « Dans les cordes ». C’était vraiment d’être le meilleur rappeur, j’étais fasciné par le rap français, par certains artistes que je trouvais meilleurs que tous les autres et puis je suis de cette génération 8Mile, où on veut être le « best Mc », le rappeur absolu. Mon but c’était de rapper comme mes rappeurs préféré, d’arriver à un niveau artistique qui soit le plus grand possible. J’ai jamais eu trop d’attente sur le plan financier, je vis assez simplement, j’ai jamais fait ça pour l’argent que ça pourrait rapporter. Je pense que la plupart des artistes répondraient ça (rires)… mais c’était vraiment un truc de passionné pour moi et pour tous les mecs avec lesquels j’ai commencé, on le faisait juste parce qu’on adoré ça et que c’était un excellent moyen de tuer le temps et que plus on le faisait plus on y prenait du plaisir. Après quand les années passent bien sûr que les objectifs changent. Avant je voulais juste faire le couplet parfait, maintenant, j’ai envie de faire des morceaux, des chansons, j’ai envie d’avoir différentes émotions présentes sur mes morceaux, j’ai envie de toucher les gens.

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© Jeunedoh

Parlons maintenant de l’album que tu viens de sortir , comment tu le décrirais et pourquoi l’avoir appelé « Plot Twist » ?

Je le décrirais comme un disque assez intime, une musique assez hybride. Je l’ai appelé « Plot Twist » car je voulais renvoyer ce message que même quand tu crois que ton film est terminé, que ton histoire est « fucked up », même à ce moment là, tu peux toujours créer un retournement de situation mais ça passera par toi même avant tout. C’est un peu cliché de dire ça (rires)… genre « il n’est jamais trop tard » mais même si c’est un peu bon enfant en vrai c’est une énergie que je voulais insuffler pour tous les gens qui traversent les trucs que j’ai traversé. Avec ce projet, je voulais amener ce message là, de dire que même quand ton ciel est noir et que t’as l’impression qu’il n y a pas d’issue, tu peux toujours créer le retournement de situation.

Sur cet album, on entend beaucoup d’influences des USA, est ce qu’il y a des artistes US, en particulier, qui t’ont inspiré que ce soit tout au long de ta carrière ou bien sur cette album en particulier ?

Les artistes qui m’ont énormément marqué sont Mobb Deep, Roc Marciano pour ne citer qu’eux mais ça pourrait être infini, Pete Rock, Wu-Tang Clan, Redman qui était l’un de mes rappeurs américains préférés quand j’ai démarré mon écoute du rap américain. C’est surtout ceux là qui ont attiré mon attention et justement avec les années, je me suis ouvert à énormément de choses. Je n’écoute pas que du rap à la base, j’ai démarré la musique en écoutant, autant de rap que de punk et de métal, donc au fur et à mesure des années, mes oreilles se sont ouvertes et j’ai voulu m’intéressé à d’autres trucs que le rap. Ce que j’ai énormément écouté, ces dernières années, c’est toute cette scène un peu alternative qui se situe quelque part entre le rap, le trip hop et des musiques plus abstraites, je pense à des artistes comme Yung Lean ou YUNGBLOOD.

Le morceau « Wayne » est super intéressant, c’est? un peu? un morceau ego trip et en même temps on ressent ce sentiment de peine et de frustration, tu peux nous parler de l’inspiration derrière les lyrics ?

L’inspiration était super personnel, je pense que « Wayne » est vraiment un morceau qui cathartise pas mal les thèmes qui sont abordés dans le projet, c’est un morceau qui parle de revanche, qui raconte le fait de se sentir vraiment nul et en même temps de savoir que t’as beaucoup de pouvoirs qui bouillonnent en toi et de vouloir justement transformer cette énergie négative en superpouvoir. C’est vraiment inspiré de ce que j’ai vécu à ce moment là. Au moment où j’ai écris ce morceau, je commençais tout juste à me remettre de la dépression que j’avais vécu 2 ans auparavant et c’est un morceau qui aborde ça avec rage et ambition.

« Le nom des fleurs » est un titre assez différent des autres morceaux sur cet album. Avec des sonorités très Lo-fi, chill. Tu peux nous expliquer ce que le titre représente et qu’est ce qui t’as inspiré pour créer ce morceau ?

C’est un des rares morceaux où je n’ai pas assisté à la composition. C’est à dire que normalement sur tous les tracks que je fais, soit c’est moi qui fait les intrus soit je suis présent avec les compositeurs quand on bosse sur le son. Là c’est une prod que m’a envoyé mon frérot Wan’R qui a également produit le morceau «Printemps» et quand il m’a envoyé cette instru, elle est resté dans mon ordi pendant genre deux mois sans que je ne m’y attarde vraiment et vraiment en milieu de nuit je n’arrivais pas à dormir, je me la suis réécouté puis c’est venu vraiment très spontanément , j’ai eu la première phrase qui m’est venue. C’est souvent comme ça que ça part, j’aurais donc du mal à expliquer d’où est parti l’inspiration. C’est souvent la première phrase qui déclenche l’inspiration. J’ai rarement une idée précise de là où je veux en venir, où je vais aller au moment où j’entame le morceau, c’est plus en cours d’écriture au bout de la 4ème, de la 8ème rime que je commence à comprendre de quoi je parle et puis à un moment dans le morceau, j’ai j’écris cette phrase « on ne connaît plus le nom des fleurs j’ai vu mon cœur était trois fois j’avais peur » , c’est une phrase qui vient de Népal, c’est peut-être une de mes phases préférées de toute l’histoire du rap français et c’était l’occasion de lui faire un clin d’œil, de lui rendre un hommage discret mais j’étais content de pouvoir le faire.

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© Ibti

Quel est le morceau sur cet album qui a été le plus difficile pour toi d’écrire ? Pourquoi ?

C’est vraiment une bonne question, je pense que c’est «Cœur». C’est un morceau où j’ai écrit la première partie, j’ai créé le premier couplet et après il m’a fallu quasi un an avant de faire la deuxième partie parce que ce son raconte une vraie peine de cœur et une histoire que j’ai vraiment vécu. J’avais la volonté justement de faire un morceau en deux parties. Je voulais parler du pendant que tu vis le truc et du après. Je voulais qu’il y ait ces deux phases et disons que c’est rare pour moi d’aller sur des morceaux aussi conceptualisés, avec justement un thème hyper précis… donc avec l’écriture qui est quelque chose que je prends très au sérieux, que je privilégie beaucoup, je ne voulais surtout pas que ce soit balourd. Écrire une chanson d’amour c’est super difficile dans le sens où c’est quelque chose qui a été énormément fait donc il y a pleins de métaphores qui ont déjà été trouvé, d’images qui ont déjà été trouvé, je n’avais pas envie de répéter un truc qui avait déjà été fait surtout je voulais que ce soit sincère. Comme tout le reste du projet, je voulais que ça vienne vraiment de moi. D’ailleurs je place un shout-out à mon frérot Plae Casi qui à composé la prod avec GVRVGIST. C’est lui également qui a co-écrit le refrain avec moi, qui m’a aidé à trouver les les bons mots sur le refrain parce que j’avais beaucoup de mal justement à synthétiser le refrain. C’est un moment qui peut être difficile surtout sur un morceau à thème, dans le sens où justement faut réussir à résumer l’idée global du track et là j’avais tellement de choses à dire sur ce sujet là que c’était dur.

Quel a été ton moment préféré dans la création de cet album ?

Quand j’ai fait le morceau «Printemps» avec mon frérot Wan’R. C’est le morceau qui me parlait le plus, enfin tous les morceaux me parle d’une manière assez profonde parce que c’est vraiment des morceaux de ma vie des bouts de ma vie mais «Printemps» , l’instru m’a tout de suite donné des frissons, dès qu’on a commencé à la faire avec Wan’R, j’étais très excitée et je suis hyper fier de ce que j’ai écrit dessus. Pour moi c’est un peu mon meilleur morceau jusqu’à présent. Je crois même que quand c’est vraiment le morceau ça m’a le plus ému dans le sens où je me suis dit que c’est comme si je pouvais tcheck le gamin que j’étais quand j’ai commencé à faire de la musique, en mode « on l’a fait » . Ouais c’est le morceau qui m’a rendu le plus fier sur le projet parce que j’avais l’impression d’atteindre un niveau que j’espérais atteindre depuis longtemps. C’est très personnel comme truc, c’est vraiment juste une petite sensation d’accomplissement.

heskis printemps

Si tu pouvais avoir une discussion avec un artiste, mort ou vivant, ce serait qui ?

Waouh, c’est une excellente question que tu me poses là, plus les années passent plus j’ai tendance à croire que ce n’est pas une bonne idée de rencontrer les artistes que tu rêves de rencontrer. Tu casses une part de mystique mais dans un monde parfait, j’aimerai beaucoup discuter avec YUNG LEAN ou peut-être me poser en studio avec un Roc Marciano ça serait quelque chose d’assez incroyable. Mais bon en vrai, je crois, que cette case là, j’ai déjà eu la chance de pouvoir la coché, c’est peut-être pour ça que je ne sais pas y répondre. Je me suis retrouvé avec mon compositeur préféré The Alchemist dans un studio il y a quelques années. C’est ma légende à moi depuis que je suis enfant et il y a quelques mois je me suis retrouver avec un de mes rappeurs préférés, celui qui m’a le plus influencé, qui s’appel Loud, un rappeur canadien.

Enfin, tu as commencé le rap très jeune, est ce que tu aurais des conseils pour les jeunes qui voudraient se lancer dans le rap ?

Ouais carrément, je dirais que si j’avais un conseil à donner à quelqu’un qui commence, ce serait de parler de ce qui te rends unique, parce que trop souvent les rappeurs ont tendance à recopier des codes, de reprendre des postures que prennent les autres et en fait, c’est le meilleur moyen de se retrouver noyé dans une masse. Je pense qu’il y a plein d’artistes qui sont frustrés parce qu’ils n’ont pas l’exposition qu’ils voudraient avoir et qu’ils pensent mériter et je pense qu’en fait c’est eux-mêmes qui se saborde des fois en manquant d’honnêteté, en abordant les mêmes thèmes que tout le monde, en reprenant le son que tout monde fait donc un conseil aux artistes: Soyez vous-même, exploitez ce filon là et poussez ça le plus loin, pas non plus à l’excès mais juste être soi-même et parlez de ce qui vous rend différent musicalement.

« Plot Twist » est disponible sur toutes les plateformes de streaming.