L’accent britannique a longtemps été banni des radios américaines, ces dernières ne prenant pas au sérieux la culture pourtant riche du Hip-Hop Anglais. Mais depuis l’initiative de Drake et de son album More Life comprenant une collaboration avec le rappeur Giggs, le rap anglophone s’est bien mieux diffusé à travers le pays aux 50 états. Un défi enfin réalisable pour un mouvement qui se voit pourtant censuré par tous les moyens dans son propre pays. Outre l’ignorance des américains, le système politique anglais est depuis plus de vingt années un véritable fardeau pour le mouvement Hip-Hop du pays de la rose.
Entre censure, ignorance médiatique et discriminations raciales, l’administration britannique s’est souvent insurgée contre le mouvement Hip-Hop dans son pays. Retour sur une histoire mouvementée qui a pourtant mené le rap anglais à sa grandeur actuelle.
Une culture privée de communication
Pour comprendre comment l’administration anglaise fut amenée à s’en prendre au Hip-Hop, il faut d’abord revenir aux débuts des années 2000. C’est durant cette période que va naître la bouillonnante scène GRIME au sein de l’est de Londres. Le GRIME est un genre dérivé du Hip-Hop s’inspirant du UK Garage et prônant l’énergie du Punk. Ce genre, mené par Ruff Sqwad (entre autre) et popularisé par le célèbre rappeur Wiley, se répand rapidement au sein du paysage Londonien. Bourdonnant de créativité, le genre est pourtant dès le départ freiné par les hautes institutions. Si le rap américain trouve son origine dans les sound-systems, le GRIME, lui, se voit délaissé par les grands médias anglais. Il sera alors massivement diffusé via la radio pirate.
Le GRIME est un genre musical ayant émergé à Londres, au début des années 2000. Il est principalement influencé par le UK Garage, et le Hip-Hop.
Définition du GRIME
A une époque où les réseaux de diffusion tel que YouTube sont inexistants, la seule source de communication pour les artistes se trouve à la radio (BBC) ou dans les magazines (Hip-Hop Connection). Malheureusement ces médias s’opposent à ce genre qu’ils considèrent alors comme “l’enfant bâtard du Garage UK”.
Radios pirates et DVD
C’est par des radios comme Rinse FM, Heat FM ou GRM Daily que se construit le genre petit à petit. Interceptant illégalement des ondes, les radios pirates proposent alors différents freestyles qui tournent généralement à l’euphorie. La qualité sonore peu qualitative proposée par ces médias mène en effet les rappeurs à prendre des flows particuliers. Allant même jusqu’à crier pour se faire entendre au sein d’un genre étouffé par les “hauts” médias.
Au-delà des radios pirates, les artistes de Grime vont finalement trouver un nouveau canal de diffusion : la vidéo. En 2003 naît Channel U, chaîne cablée qui diffuse les premiers clips du genre Grime. A cette période, les clips sont néanmoins très rares dans le cas du Grime. Seul le rappeur Dizzee Rascal propose des clips vidéos de qualités. C’est un an plus tard par le biais du rappeur Jammer (membre du collectif Boy Better Know), que va apparaître le DVD nommé Lord of the mics. Présentant différentes battles entre rappeurs tel le légendaire “Skepta vs Ghetts”, ce dvd va propulser le GRIMZ au sein de Londres.
Les beaux jours vont ensuite apparaître sur une courte période pour le mouvement. Wiley, JME et Kano sortent leur premier album et les showcases font salle comble. Pourtant les artistes de GRIME n’en sont qu’à leur première épreuve face à la censure. Un formulaire administratif du nom de 696 est en train de voir le jour…
Le formulaire 696
En 2005, le GRIME devient un genre incontournable. Les albums de Skepta et Wretch 32 font salle comble et les clubs sont envahis de férus de GRIME. C’est aussi une période où les agressions et les violences se multiplient au sein du monde de la fête dans la capitale anglaise. Déjà en 2001 et 2003, quatre personnes avaient trouvé la mort dans des discothèques dont l’un était un concert du groupe de garage (l’origine du Grime) So Solid Crew. L’année 2005 accentue les choses avec de nouveaux incidents au sein des clubs londoniens. Ainsi la police métropolitaine de Londres, avec le soutien du mouvement politique des conservateurs, décide de mettre en place un “formulaire d’évaluation des risques” alias le Form 696.
Ce formulaire de 8 pages, consiste à répondre à des questions sur les futurs événements. Il doit être rempli par des promoteurs événementiels dans un délai de 14 jours. A première vue, l’intention semble légitime. Le formulaire veut préserver la population des violences, informer de la tenue des événements afin de les contrôler ou de les interdire. Rien de méchant jusque-là me diriez vous. Mais en creusant dans les caractéristiques du formulaire, on découvre des questions insensées. Le “696” cherche à savoir quel style de musique est joué et si des minorités ethniques sont présentes sur place. Un formulaire problématique car jugé raciste et discriminant à l’égards des minorités.
Le poison du GRIME
Pendant quatre années, ce formulaire discriminant sera mis en place. En 2009, les questions ethniques et musicales sont finalement supprimées grâce à notamment la protestation de Mike Howlett, président de la Music Producers Guild. Il décrira le formulaire comme d’une violation flagrante des libertés civiles et d’une forme de discrimination raciale. Malheureusement, le formulaire n’est pas totalement supprimé et il continue de bannir les artistes de Grime des clubs. Le rappeur Giggs, par exemple, voit à plusieurs reprises ses performances annulées en 2010. Le groupe Section Boyz se voit annuler sa tournée dans tout le pays en 2014.
“We just have fun”, tels sont les mots du rappeur JME, dans une vidéo concernant le formulaire en 2014 pour le média Noisey. C’est l’incompréhension qui règne en effet chez les rappeurs, voulant juste faire leur musique dans la positivité la plus claire. Giggs, lassé par une énième interdiction en 2013 lança des invectives à la police par vidéo en concluant tristement : “Vous allez toujours me ralentir en fin de compte”. Le rappeur P Money s’est également indigné de ce traitement en 2016. Lors d’une interview pour la journaliste Victoria Derbyshire, il explique que les événements, constitués en majorité de personnes noires, sont toujours placés sous intervention du formulaire. Alors que des concerts constitués en majorité de blancs ne présentent presque jamais l’apparition des policiers et du 696.
Une fin controversée
Finalement en novembre 2017, le maire de Londres Sadiq Khan met fin à cet horrible formulaire après consultation. Cette fin du 696 est cependant justifiée par une baisse considérable des violences et non pour mettre fin aux discriminations raciales, ces dernières étant ignorées par les politiciens. Le GRIME ne s’est cependant pas privé de célébrer la fin de ce véritable poison. Depuis 2017, le genre explose et de nouvelles étoiles montantes montrent leur plein potentiel tels que Stormzy ou AJ Tracey.
Un autre genre de rap anglais est maintenant sous le joug de la censure : la UK Drill.
Le jour de Drill est arrivé
La Drill est un genre originaire de Chicago. Apparu à partir des années 2010, ce genre devient populaire grâce à des rappeurs comme Chief Keef ou Lil Reese. La Drill aborde uniquement les thèmes des gangs et les aléas de la rues. Cette musique reflète le style de vie des jeunes des quartiers pauvres de la capitale de l’Illinois. Après être devenue très populaire aux Etats-Unis, notamment grâce à Finally Rich de Chief Keef, la Drill s’exporte outre-Atlantique.
Des groupes tels que la 67 ou la 150 vont populariser le genre en Angleterre. S’appropriant le genre d’une façon différente avec des productions symbolisées par des notes de pianos sombres, la Drill fait l’effet d’un raz de marée sur la scène UK. Les histoires de meurtre et l’ode des attaques aux couteaux vont littéralement scotcher les jeunes adolescents devant YouTube. Alors qu’en 2014, la Drill se répand à une vitesse folle, les drilleurs commencent à voir leur genre censuré.
La conséquence d’une mauvaise politique…
Avant de parler de ces différents événements qui ont marqué la censure de la Drill. Il faut comprendre le contexte politique en Angleterre ainsi que les politiques menées envers les minorités ethniques. C’est actions, ont conduit à des discriminations raciales envers la musique noire.
Tout commence avec la politique du New Labour, mise en place par le Labour Party, un parti travailliste anglais qui est un peu l’équivalent du Parti socialiste en Angleterre. Depuis les années 90, cette politique a mis en place une intense gentrification des populations, notamment à Londres. Le centre de la capitale s’est donc rempli de population en majorité blanche et ouvrière. Ce qui a pousser les populations noires ou asiatiques à reculer vers des banlieues très éloignées du centre tel que Croydon.
L’abandon des minorités ethniques par les politiques, vont plonger ces dernières dans le chômage et la pauvreté. Ce qui entrainera une hausse de la violence, et en 2017 la situation s’aggrave. D’abord, l’incendie de la tour Grenfell choque le monde entier. Un logement social de 24 étages situé dans le nord de Londres prend feu, faisant 71 victimes et 8 blessés graves. Cet incendie causé par un défaut de réfrigérateur et par un bardage de rénovation, mettra en cause la responsabilité de l’Etat Anglais. Celui-ci se montre incapable de fournir des équipements sûrs pour les populations noires occupant principalement la banlieue nord de Londres.
L’année 2017 est également marquée par la hausse des attaques aux couteaux dans les grandes villes. Un article de nos confrères de BackPackerz, donne une vision macabre de ces événements : “Rien que pendant la soirée du Nouvel An, 4 jeunes ont été assassinés à l’arme blanche”.
Un motif de censure
Mais alors qu’advient t-il de la Drill? Ce genre fascine les anglais avec à sa tête des artistes comme Skengdo ou Loski. Il est néanmoins accusé de prôner la violence à son plus haut niveau. En 2019, après de nombreux meurtres au sein de Londres dont certaines victimes sont des rappeurs (Incognito du groupe Moscow17), Scotland Yard, le quartier général du Metropolitan Police Service de Londres, passe à l’action. La police anglaise accuse la Drill d’être un des facteurs de ces violences. Elle censure alors plus de 30 vidéos de Drill sur Youtube à l’image du morceau du groupe Zone 2 satiriquement nommé “No Censor”.
D’autres rappeurs comme Stigs ou la 1011 seront mis en examen par la police. Dans le cas du premier, on assiste à la toute première injonction de gangs du Royaume-Uni avec l’interdiction pour le rappeur d’encourager à la violence dans ses morceaux. Dans le cas de la 1011, on prend compte d’une surveillance de la police à l’égard de la drill avec l’obligation pour le groupe d’informer leurs futures tournages et concerts.
Des médias comme la BBC accusent ces rappeurs de glorifier la violence, d’autres comme le célèbre journal The Guardian donne le ton sur le réel problème : distinguer le crime et la musique. La police joue en effet à un jeu de distinction au regard des morceaux de drill. Elle y juge qui y fait l’apologie du crime et qui au contraire le décrit . Ces actes de distinctions forgent une certaine censure à l’expression dans un but juridique.
De nombreux rappeurs se sont exprimées sur ces faits. Le récent morceau « BLM » de la OFB révèle la colère de la communauté noire anglaise et montre un autre problème à cette situation : l’abandon des classes sociales précaires. AM, un rappeur du groupe 410, justifiait aussi dans une interview pour The Guardian la réalité de la situation en expliquant que le gouvernement pense arrêter la violence en censurant la Drill alors que le souci se pose dans l’amélioration des conditions de vies dans les quartiers pauvres.
Une situation qui empire
La Drill est donc utilisé comme bouc émissaire, alors que le réel objectif est oublié : réduire la criminalité. Cette inefficacité policière se ressent toujours aujourd’hui. Selon le site de référencement criminel du parlement anglais, l’année 2019 serait l’année record en termes de meurtres en Angleterre avec 259 homicides au sein du pays. Une hausse par rapport à l’année 2018, qui avait elle-même battu le triste record d’homicides avec 285 victimes.
Bien évidemment, la Drill n’est pas une école musicale sainte. L’arrogance et la description de la dure vie des quartiers londoniens ou mancuniens est omniprésente. Les guerres de gangs y font toujours de nombreuses victimes comme le célèbre rappeur Bis (membre du groupe Harlem Spartans), tué en 2019. Le véritable problème se trouve cependant dans une politique qui depuis 1990, ne gère pas cette criminalité et n’obtient pas de solution d’avenir pour les classes sociales modestes d’Angleterre.
La musique est et doit rester une expression artistique au profit de la liberté d’expression. Une notion que ne semble toujours pas comprendre l’État anglais en 2020.
Malo.H
2 commentaires