Il affichait sold out au Pop-Up du Label à Paris. Et malgré ses répétitions acharnées, BEESAU m’a chaleureusement accueilli avant son concert, afin de répondre à mes questions. Je vous invite à découvrir un musicien à l’univers musical éclectique et aux influences riches. Mais également un amoureux de la musique et un passionné d’amour.

Quel a été le parcours de BÉESAU ?

Mon parcours musical, c’est bien ça ? Je vais tenter de le résumer, c’est assez long ! Alors j’ai commencé comme pas mal de gens qui pratiquent un instrument au conservatoire, c’était à mes sept ans. C’était ma mère qui m’avait dit “Alors toi tu feras de la musique !”

Du coup j’ai choisi la trompette. J’ai fait ce choix un peu par hasard. Ca me plaisait bien, c’était doré et petit j’aimais bien tout ce qui brillait.

J’ai fait huit ans de conservatoire. Ça ne me plaisait pas, mais alors pas du tout ! J’étais le pire élève que tu pouvais avoir (rires). En fait c’était cool, mais le conservatoire demande une rigueur que je n’avais pas du tout.

Au bout de ces huit années au conservatoire, je me suis fait virer. J’ai arrêté la trompette et j’ai acheté mon ordinateur avec une MPC pour faire des instrus de rap. Comme j’étais à La Rochelle, j’ai commencé à en créer pour des rappeurs de là-bas. C’était bien, mais il n’y en a pas beaucoup (rires) !

J’avais entre 14 et 18 ans et la trap n’existait pas encore [en France]. Je m’inspirais donc des rappeurs new-yorkais, de DJ Premier etc… J’ai découvert le sampling, de jazz ou alors de funk, et me suis mis à les réécouter. Notamment Roy Hargrove, un trompettiste qui a sorti un projet de jazz acoustique. Ça m’a donné envie de reprendre la pratique de la trompette.

Je me suis remis à niveau pour ça (c’est très physique en réalité) dans une école à Bordeaux. Puis je suis allé dans l’École Normale de Musique de Paris, créée par Didier Lockwood. C’est la plus grande école de jazz en France, formée par un violoniste de jazz mondialement connu. Donc les autres candidats sont le type à savoir dès 12 ans qu’ils veulent faire du jazz. Je me dis “Ah ouais, ça va être compliqué…” Entre temps, j’ai délaissé la prod’ pour me concentrer sur le jazz.

Après m’être formé, je me suis mis à fréquenter tous les clubs de jazz de Paris. C’était cool mais je ne m’y retrouvais pas. C’est là que l’idée de faire mon propre truc est venue. J’ai repris les prods. À défaut d’avoir un rappeur à qui proposer mes instrus, j’ai commencé à poser avec ma trompette dessus.

Comme j’étais intermittent du spectacle, j’ai pu faire des tournées, notamment avec Seal. Avec lui c’était légendaire. Avec Koons aussi.

Je n’ai pas arrêté de travailler sur mon projet tout du long. J’ai d’ailleurs enregistré un album que je n’ai pas sorti, mais qu’Universal a écouté. C’est comme ça que Blue Note m’a contacté. Ils voulaient sortir un EP avec des morceaux de cet album. Mais n’arrivant pas à choisir, j’ai préféré enregistré cinq morceaux en dix jours.

WOW. Quel parcours ! Et si tu pouvais refaire ton parcours, le referais-tu à l’identique ?

Je pense que oui. J’ai toujours voulu composer de la musique. Et en accompagnant plein de monde comme je l’ai fait, j’ai énormément appris. Par exemple, rencontrer des personnes employées chez Universal, ça m’a appris à comprendre le fonctionnement en maison de disque. C’était une force que d’autres musiciens n’avaient et n’ont toujours pas.

Par contre, si on m’avait dit il y a cinq ans que j’allais collaborer avec des artistes que j’idolâtrais !

Puisqu’on aborde le sujet, quels artistes t’ont influencé au lancement de ta carrière ?

Du coup il y a Roy Hargrove à coup sûr ! Je peux aussi citer Christian Scott. Alors lui c’est mon dieu absolu ! Le premier à avoir incorporé la trap au jazz. C’est monstrueux ! Quand je l’écoutais, je me disais “Mais je veux faire CA en fait !”

Après dans un autre registre je citerais Disiz. J’ai bossé avec lui cette année d’ailleurs. Sa musique m’a toujours touché. Il a percé avec “Je Pète Les Plombs” et sa maison de disques voulait qu’il ne fasse que ça. Mais lui a refusé.

Je peux aussi citer Hans Zimmer. C’est grandiose et ça s’écoute facilement dans ses écouteurs, à vélo… Il y a pas mal de choses à lui que j’ai incorporées dans ma musique.

Le point commun parmi toutes mes influences, c’est qu’ils ont toujours eu à cœur de se renouveler par amour pour la musique.

Alors tu as donc sorti un EP en 2020. Comment as-tu pu le réaliser aussi vite ?

En fait, je compose quasiment tout le temps. C’est dans cette mesure que je dis que j’aime la musique. J’ai la chance d’avoir été formé dans la musique, la pratique est comme un exercice pour moi. Parfois c’est pour des rappeurs, parfois pour moi.

En plus, j’ai la chance d’être accompagné de Prince Lao. Il est mon directeur artistique, mais aussi mon meilleur ami. On se connaît depuis que j’ai trois ans. Et pour le coup, il est un vrai producteur et un vrai ingénieur-son. C’est lui qui m’a remis dans la prod’, et on fait tous mes projets à deux. Il est trop fort !

Quel regard as-tu sur ton EP à l’heure actuelle ?

C’est un projet que j’aime encore. Je me dis que c’est exactement ce que je voulais faire. Seulement de la prod’ très électronique et de la trompette dessus. En sachant que je voulais arriver chez Blue Note comme Saint Germain et sa House Jazz.

Par la suite, j’ai enchaîné avec Station Balnéaire, ma mixtape. Je voulais que la trompette soit plus facile à écouter. C’est quand même plus dur de s’imposer en tant que musicien. C’est pour ça que je voulais que ce soit plus chill comme ambiance.

Dans l’ensemble, je suis satisfait parce que c’était assez tactique. Parce qu’il s’agissait d’introduire la trompette dans un projet plus profond après la mixtape.

Et pour cet album, quel a été ton moodboard ?

Pour Coco Charnelle, j’ai voulu revenir à un morceau sorti de l’album que j’avais enregistré et gardé. Il s’intitule “Aliens Believe In Us”. L’album lui avait un peu mal vieilli, donc je n’ai repris aucun thème abordé dedans.

Mais je voulais revenir à la manière dont je l’avais enregistré. J’ai donc invité tous mes amis musiciens à poser sur mes morceaux, rappeurs comme beatmakers. Je voulais que ça se fasse en famille quoi !

Je comprends tout à fait ! Ca me fait penser un petit peu à Kanye West et My Beautiful Dark Twisted Fantasy.

Ah ouais carrément ! Moi je pensais à Mac Miller et Swimming qui s’entoure de Robert Glasper, Terrace Martin… C’est vraiment une référence pour moi, parce que je sais que je pourrai l’écouter dans dix ans sans réellement pouvoir le dater.

C’est d’ailleurs en ça que j’ai préféré miser sur l’organique et non pas l’électronique.

Et c’est une chose à relever ! Surtout dans le paysage musical français, on cherche vraiment à être actuel. Donc cette recherche de s’en détacher est à valoriser !

Tout en gardant des codes de production qui se placent temporellement ! Parce qu’en vrai ça peut toujours être situé, surtout au regard de ce que j’écoute et ce qui m’influence. Par exemple, j’écoute très peu de jazz en ce moment.

©Daniil Zozulya
Quel est donc le message dans cet album ?

C’est assez bête (rires). Toute ma vie j’ai été en couple. Je suis tombé amoureux à 14 ans pour la première fois. Et j’ai toujours été en relation de couple sans vraiment faire de pause entre elles. Dès que je développais des sentiments, je me raccrochais à des souvenirs, des parfums… Ca me procurait une sensation de bien-être.

Dans l’album, je le dis dans la note vocale “Je crois que je suis un amoureux de l’amour”. Je me suis mis à réfléchir, à me questionner. “Peut-être que je suis dépendant affectif ou quelque-chose dans le genre”. Le pire était que mes dernières relations étaient chaotiques. Ça m’a poussé à faire une introspection, que j’ai fini par raconter dans cet album.

C’était important de le partager parce que l’amour est vraiment une énorme partie de moi. Ca me semblait plus pertinent de parler de ça, plutôt que de parler de la vie de musicien. J’aimerais bien le faire en soi, mais l’amour reste la partie de moi que je préfère partager. Et celle que je préfère tout court.

C’est un sujet universel, qu’on entend dans toutes nos chansons. C’est tellement simple et tellement compliqué à la fois, que je voulais partager ma propre expérience de l’amour.

En tant que beatmaker/producteur/musicien, quel regard as-tu sur l’industrie de la musique ?

Ah ouais bonne question ! Je dirais qu’on vit dans une ère dans laquelle on consomme vraiment très vite la musique. Je ne saurais pas te dire si c’est un mal ou bien. Moi aussi j’aime la consommer rapidement. Mais j’accorde beaucoup d’importance à la notion d’album. Que ce soit un concept comme Laylow a pu le faire, qu’on saurait placer dans le temps, ou alors un album qui se voudra intemporel. Même si ce dernier marchera moins bien [d’un point de vue commercial] mais sera quand même salué par la critique.

Dans le rap par exemple, je trouve que les albums s’apparentent plus à des mixtapes. Tu trouveras un enchaînement de bangers, qui tapent dans tous les sens. Pour moi ça s’apparente plus à des morceaux pour composer des playlists qu’autre chose.

Mais c’est dû au fait que maintenant on n’achète plus de CD et on ne les écoute plus du début à la fin. Pour ma part, j’avais fait un post dans lequel je demandais à ce qu’on écoute l’album du début à la fin. C’est super important pour moi. En tant qu’artiste c’est l’œuvre que j’offre. Elle ne pourra être appréciée à son maximum qu’en l’écoutant de cette façon.

Dans l’industrie de la musique, on ne pense plus qu’aux chiffres maintenant plus que jamais.

[…]on vit dans une ère dans laquelle on consomme vraiment très vite la musique.

BEESAU
Quand l’aspect industriel prend le dessus sur le côté musical…

C’est exactement ça !

Et penses-tu qu’il y a une différence essentiellement entre les interprètes et les musiciens/beatmakers/producteurs

Carrément ouais ! Déjà le simple fait que je n’ai pas besoin de séance studio pour pouvoir travailler ça change la donne.

Pour pas mal on nous met dans la case artiste, mais je n’aime vraiment pas ce terme. Je me rappelle quand je bossais dans un cabaret, je portais des marcels à paillettes. Mais je ne te raconte pas l’horreur (rires) ! Et on me répétait “Nous sommes des artistes, nous vendons du rêve !” Mais ça n’a jamais été ce que je recherchais.

On nous considère comme artistes à partir du moment où on est couvert médiatiquement, mais on pensera plus aux interprètes qu’aux musiciens. Maintenant que je suis signé, je dois bien entendu soigner mon image pour que ce soit présentable d’un point de vue médiatique. Ça fait partie de la vie d’artiste. Mais je n’y suis pas encore habitué. Je me vois plus comme un opérateur en dehors des projecteurs. Je fais donc cette scission dans ma tête, même si aujourd’hui ça tend à disparaître me concernant.

Alors là ce n’est pas vraiment une question, plutôt une remarque. En regardant ton feed instagram, j’y ai vu plusieurs posts, notamment une capture vidéo d’une note vocale. Et dans tout ça, je me suis rendu compte que tu avais beaucoup de gratitude envers tout le monde autour de toi. Et également beaucoup d’humilité. Ça m’avait personnellement beaucoup marqué !

D’accord ! (rires) C’est gentil ! Je crois que c’est le fait d’avoir fréquenté le monde des musiciens de jazz, monde qui n’a absolument rien à voir avec ce que je vis actuellement. C’est vrai que je travaille énormément avec [Prince Lao]. Mais c’est juste incroyable, je gagne de l’argent parce que je fais de la musique ! Ce n’est pas comme si j’avais une utilité publique, tu vois ce que je veux dire ? Je vis grâce à ma passion pour la musique !

En plus en temps que trompettiste quoi ! On n’est plus à l’époque des légendes comme Miles Davis, ça n’existe plus à notre époque. Et enfin, je n’ai pas été signé à 17 ans. Donc je me rends compte que j’ai énormément de chance, il faut le dire. Rien n’était promis.

Concernant les collaborations, que peut-on attendre de BÉESAU ?

Ah bah je peux te dire qu’il y en a pleins ! Il y en a qui sont en chemin, grâce à des rappeurs ouverts d’un point de vue musical, au travail en équipe. Après je ne peux pas en dire plus, étant donné que les morceaux ne sont pas terminés. Je n’ai pas envie de me porter l’œil (rires) !

Mais je peux dire que je n’attends pas forcément la collaboration du siècle non plus. En revanche, elles seront le reflet d’un travail en équipe mettant en avant l’humain et la passion pour la musique. Comme avec Primero, aujourd’hui c’est mon pote et on part en vacances ensemble, on se partage des découvertes musicales et on kiffe ça !

On prépare des choses chouettes !

Ça fait plaisir à entendre ! On va essayer quelque-chose :  je vais te proposer des noms d’artistes avec qui je pense que tu pourrais collaborer. Tu me dis ensuite ce que tu en penses.

Essayons !

Alors je vois Dawn Richard.

Okay, déjà j’adore !

Je le savais (rires) ! Aussi Rochelle Jordan.

Oui ! Carrément je vois !

Je vois aussi Azealia Banks.

Ah ouais ! J’avoue que ce serait lourd !

En France je verrais bien une collaboration avec Sneazzy et aussi Alpha Wann.

Tiens, c’est marrant ! J’avais essayé de bosser avec Alpha Wann il y a longtemps, mais je sais qu’il a sa famille musicale. C’est donc assez compliqué de travailler avec lui.

Mais malgré tout je kifferais ! Comme avec Nekfeu, je pense qu’il ne cherche plus rien à prouver et qu’il travaille vraiment par passion.

Je pense exactement la même chose ! Pour la dernière question, je voudrais savoir s’il est possible de voir une version deluxe de Coco Charnelle ?

Alors il y aura une suite, puisqu’il s’agit de la première partie, mais pas de version deluxe. C’est cool de voir des rééditions, les morceaux généralement apportent quelque-chose à l’album version standard.

Mais pour ma part je vois le projet en deux parties. Il y avait d’abord trop de morceaux pour un seul et même album. Je ne me voyais pas balancer un 32 titres comme ça, en pleine face (rires) ! Au-delà de ça, c’est pour moi une bonne stratégie. Ça fait vivre le projet plus longtemps.

Enfin ça prolonge mon travail depuis le début. D’abord mon EP orienté trap/électro, mon projet plus estival et dansant, cet album plus instrumental et l’autre partie qui le complète. C’est le cheminement que j’ai en tête depuis le début. Et bien entendu, la continuité entre les deux parties sera complètement maintenue, il faudra s’accrocher !

Coco Charnelle Part. 1, le premier album de BÉESAU est d’ores et déjà disponible sur toutes les plateformes.

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