C’est avec une passion pour la musique animée par des inspirations diverses et une écriture façonnée par les épreuves de la vie qu’Eesah Yasuke partage son art avec le monde. A la sortie de son EP « PS : J’écris l’album », la rappeuse originaire de Roubaix se livre sur ses inspirations, ses engagements et la relation avec sa musique.

Tu viens de sortir ton EP « PS : J’écris l’album » qui annonce ton prochain album :
c’est quoi l’idée générale de ce projet ?

Cet EP c’est une mise à jour de qui je suis en tant qu’artiste, un avant goût de l’album qui arrive. C’est-à-dire que je creuse et je me mets aucune barrière de création. Il va être bien différent de ce que j’ai pu faire jusqu’à présent, car c’est la première fois que je vais faire entendre quelques unes de mes compositions que j’ai fait arranger. Mon titre fait aussi un gros clin d’oeil à l’EP « Faites pas chier, j’prépare un album » d’Isha (rires).

Dans l’EP on compte un featuring avec l’artiste canadienne Haviah Mighty, comment s’est passée la collaboration ?

On s’est rencontrées l’année dernière au Festival Chorus, il y avait une bonne line-up. C’est marrant parce que je ne l’ai même pas vue en concert, sa loge était juste à côté de la mienne. Ce qui m’a interpellée c’était sa voix, juste parlée. Je trouvais qu’elle avait un beau timbre de voix, elle m’a intriguée tout simplement. Alors, j’ai retenu son nom et en rentrant je suis allée écouter ce qu’elle faisait. Je suis tombée in love de sa voix, de sa musicalité et de tout ce qu’elle pouvait proposer en terme de créativité. Elle rappe et elle chante aussi, c’est ce qui m’a plu.

Le morceau s’est fait très rapidement, en une journée, il y a eu une bonne connexion. On parle de collaboration, donc de travail ensemble, mais je pense que la musique va au-delà de ça. La musique c’est surtout une histoire d’âme, c’est sentimental et très intime. On parle de soi, on se dévoile, donc s’il n’y a pas de connexion c’est assez compliqué. En soi, il peut avoir une connexion sans se voir, parce que nous deux, on ne s’est même pas vues et on a bien matché finalement.

Dans ton titre « Dansons » tu dis « esquivons les balles et dansons », à quelles
balles tu fais référence ?

Je fais référence aux épreuves de la vie qui nous assaillent, nous tirent dessus. Quand j’ai écrit ce refrain, ça m’a clairement fait penser aux vieux western où il est souvent dit « je vais te faire danser, j’te dire dessus ». J’avais cette idée d’être constamment en équilibre ou en quête d’équilibre, à force de danser parce qu’il y a tant de balles que tu trembles et ça me fait penser à de la danse. J’ai décidé de transformer toute la souffrance que j’ai pu accumuler en quelque chose de créatif et d’artistique.

C’est quoi ton plus grand engagement ?


Pour moi c’est important qu’il y ait une visibilisation des enfants placés. C’est mon parcours, donc je m’y engage de plus en plus. J’ai rejoint un comité de vigilance, parce qu’il y a pleins de lois et d’évènements annexes qui se jouent dans l’agenda politique en ce moment. Sinon, ce serait les tensions dans notre pays. Il y a un discours raciste d’extrême droite qui est clairement banalisé et ça me révolte, je peux pas me taire face à ça.

Par exemple, mon morceau Focus je l’ai écrit dans une grande colère, à la suite de la mort de Nahel. Après, je ne sais pas si ça fait de moi une artiste engagée, je ne sais même pas à quel moment on définit un ou une artiste engagé(e) en réalité, mais dès que je peux me rendre en manifestations j’y vais. Je suis engagée pour la paix et pour tous les peuples opprimés : le peuple congolais, le peuple palestinien… Je pense que c’est simplement pour la vie humaine en réalité. D’autres artistes sont peut-être plus engagés et mènent des actions fortes, mais ça dépend de chacun et d’où on se place par rapport à ça.

Tu penses t’inscrire dans le rap conscient ?


Non. Je pense que personne n’apprécie ce sobriquet (rires). J’aime pas vraiment cette appellation, parce que ça voudrait dire qu’il existe des rappeurs inconscients. Peut-être que oui, si on parle de responsabilités dans certains propos tenus on peut y trouver une certaine inconscience. J’ai quand même du mal à me définir, parce que je suis artiste comme je suis dans la vie de tous les jours. Je suis moi-même, je suis Isaïah et je suis Eesah Yasuke en tant qu’artiste.

T’es une artiste assez singulière autant au niveau des sonorités, des visuels ou de
la DA, comment tu te sens par rapport au reste de la scène rap francophone ?


Je suis beaucoup dans ma bulle, donc je ne me pose pas vraiment la question de la manière dont je vais être perçue. C’est singulier parce que c’est moi, parce que je suis comme ça et que c’est ainsi que j’imagine les choses, mais je cherche pas vraiment à être différente. Cette singularité est beaucoup marquée par le fait que maintenant je compose, donc je mélange pleins de genres différents… Je suis très variée et toutes ces influences vont infuser dans mon art et faire qui je suis.

Est-ce que tu ressens une pression en terme de ventes de streams ou même des
retours critiques de ton public ?


Absolument pas. C’est une bénédiction de ne pas être sous pression, même dans mon équipe on ne trouve pas cette énergie là. De toutes façons j’en voudrais pas (rires). Je pense qu’il ne faut pas chercher à s’aligner avec le mainstream, c’est pas le but. Tant mieux pour ces artistes si ça fonctionne bien pour eux, mais c’est pas parce qu’on te stream pas énormément que ça signifie que la valeur de ta musique est amoindrie. Je peux aussi comprendre qu’il y ait d’autres artistes qui se mettent une pression par rapport à ça et qui pensent que la qualité de leur musique dépende de leurs streams.

Je pense également que tout le monde a son temps, comme dans la vie de tous les jours. On a tous une temporalité, c’est pas parce que ça ne marche pas maintenant que ça ne marchera pas plus tard. Chacun son timing, si c’est pas encore le cas c’est juste que c’est pas encore le moment. Il faut faire preuve de patience, on vit dans une société où tout va très vite, où il faut que ça pop très vite et dans laquelle on a besoin de TikTok pour que ça stream ect. Je pense qu’il faut se recentrer sur l’essentiel de la musique qui est sa valeur de transmission, ce que tu laisses derrière toi. Qu’est-ce que je vais laisser derrière moi si je meurs ? C’est plus ça qui m’intéresse, c’est une question d’héritage.

T’as expliqué ton nom de scène plusieurs fois, Yasuke en référence au premier samouraï noir. Comment t’arrives à bien faire la distinction entre tes inspirations et ton
appartenance à une culture ?


On m’a souvent prêté un grand intérêt pour la culture japonaise, dû au fait que je m’appelle Yasuke de mon nom de scène, alors que je ne la connais pas. Ce qui m’intéresse c’est l’histoire de Yasuke précisément. Les valeurs samouraï me parlent, mais j’aurai jamais la prétention de dire que je connais la culture japonaise, parce que ce n’est pas le cas. Je ne veux pas me lancer dans des à peu près et tenir des discours qui sont faux. Les valeurs du Bushido me parlent beaucoup, je trouve que c’est des principes de vie qui s’appliquent à tout le monde, sans forcément être samouraï.

Tu te vois où dans 10 ans ?

Toujours dans la musique j’espère. Ce serait magnifique de pouvoir continuer à vivre de la musique, c’est une bénédiction.

Retrouve l’EP « PS : J’écris l’album » d’Eesah Yasuke ici.