Euteika est un artiste qui se démarque de part son univers artistique décalé avec des visuels toujours aussi époustouflants et de sa versatilité. Il fait partie de cette génération de rappeurs qui préfèrent rester dans l’anonymat tout en nous livrant de réels bouts de sa vie dans ses lyrics. Nous avons pu le rencontrer et discuter avec lui, notamment à l’occasion de la sortie de son nouvel EP « Supernova ».
Tu viens de sortir un nouveau projet, tu te sens comment par rapport à ça, t’es dans quel état d’esprit en ce moment ?
Je suis content parce qu’on a des bons retours. C’est le troisième EP d’une trilogie donc c’est ce qui vient conclure un peu tout le travail qu’on fait depuis deux ans. Je me sens libéré et je suis content que ça appartienne aux gens maintenant. Mais surtout, c’est la première fois que je sors un projet qui lorsqu’il est disponible pour les gens, je peux encore l’écouter, c’est allé assez vite au final donc ouais je suis très content.
Est-ce que tu avais des appréhensions ?
En fait les appréhensions, c’était plus savoir si on allait pouvoir tout boucler dans les temps, même au niveau de l’image et tout, c’était pas tant les réactions. Honnêtement, je savais que musicalement c’était mieux que ce qu’on avait sorti avant donc je n’avais pas trop d’appréhension sur ça, on est tous contents du travail qu’on a fait.
Tu pourrais décrire ce projet et nous dire pourquoi avoir décidé de l’appelé Supernova ?
Alors il s’appelle « Supernova » parce que comme je l’ai dit, c’est le troisième volet d’une trilogie, le premier EP s’appelait « Décollage », le deuxième s’appelait « Satellite » et celui-ci c’est « Supernova ». Pour moi, c’est comme la fin d’un cycle, quand on a commencé ça, je savais qu’on allait beaucoup travailler et qu’il y aurait une évolution au fur et à mesure des projets. C’est ce que je voulais et le principe de cette trilogie, c’était de partir de l’ombre et d’aller vers la lumière. En fait, au moment où on a fait le premier EP, j’étais pas sûr d’arriver à mettre les couleurs qu’on a mis dans cet EP là, au début de la trilogie donc je suis content d’avoir réussi à faire des morceaux un peu plus ouverts et un peu plus mélodieux.
J’ai écouté ton projet, il y a plusieurs sonorités différentes, est-ce que tu as des influences en dehors du rap ?
Ouais de ouf, déjà, tu vois à la maison quand j’étais petit, ma daronne écoutait beaucoup de chanson française. Balavoine, Renaud, je suis un bousillé de ces mecs là. Goldman, Michel Berger tout ça et mon daron écoutait beaucoup de soul, de jazz donc j’ai vraiment été bercé dans la musique depuis petit et du coup dans une musique autre que le rap. Pour le coup on a cette vision commune avec mes beatmaker les Skywalkers et on aime à peu près les mêmes choses donc on s’est bien trouvé pour ces trucs là. Souvent, en fait, je prend des prod dont les autres ne veulent pas. (rires)
Dans l’intro, tu dis, « j’ai signé en label, le label a coulé, je repars en full indé », est-ce que tu pourrais nous parler un peu de cette mauvaise expérience en label et comment elle a forgé l’artiste que tu es aujourd’hui ?
En vrai, ce n’était pas une mauvaise expérience, au sens où déjà ça m’a permis de rencontrer les gens avec qui je travaille encore aujourd’hui. J’ai pu apprendre de leurs erreurs avec leur budget à eux donc ça nous a évité de faire ça avec notre argent à nous. Après, je ne suis en mauvais terme avec personne, c’est juste que la boîte a coulé mais voilà, pour moi c’était une bonne expérience, ça m’a permis d’apprendre plein de choses, ça m’a permis d’être un peu confortable aussi, pendant les 1 an et demi passé avec ce label parce que encore une fois ce n’était pas mon argent que je mettais et on était rémunéré, ça m’a aussi permis d’écrire pour d’autres artistes et de faire d’autres choses, d’essayer d’autres choses.
Quand ça s’était terminé on n’a pas chercher d’autres labels, j’étais aussi content d’être en indé, j’ai la chance d’avoir une équipe complète que ça soit niveau vidéo, musique, management, rp. On est pas beaucoup mais on a tous les pôles requis entre guillemets.
Le son « Néon rose » se démarque vraiment dans cet EP du fait que tu fais du storytelling dessus, tu peux nous parler de l’inspiration derrière les lyrics ?
En fait, ce morceau est grave vieux. Il doit avoir pas loin de trois ans maintenant. On attendait le bon moment pour le sortir. On était parti là-bas avec des amis, notamment Adri qui fait tous les visuels et on était parti pour faire un clip à la base et c’est un clip qui n’est jamais sorti au final parce qu’on avait pas les images que l’on voulait. En rentrant, j’avais envie d’écrire une histoire d’amour qui fini mal, c’était le truc de départ et j’avais cette image de de Jackie Kennedy, je ne sais pas pourquoi (rires)… donc la punchline en fin de morceau c’est vraiment partie de là en fait.
Qu’est ce qui t’a poussé à en faire du storytelling ?
C’était plus une question d’exercice. J’avais déjà fait ça un petit peu mais pas aussi poussé et je voulais savoir si j’étais capable de le faire tout simplement car pour moi il y a un album qui m’a vraiment traumatisé, c’est l’album d’Oxmo avec les The Jazzbastards, que je trouvais incroyable, en termes d’écriture. Je voulais donc voir si j’étais capable de tenir quatre minutes en racontant une histoire et que ça soit intelligible et que les gens aient des images en tête quand ils écoutent ce morceau.
Le son « Supernova » est un son très mélancolique de part les lyrics et la prod, tu peux nous parler de la création de ce morceau ?
Quand j’ai commencé à l’écrire, ce n’était pas sur cette prod là, c’était sur une prod qui a fini chez quelqu’un d’autre au final (rires)… C’est un morceau mélancolique, c’est un peu triste. J’avais envie de repartir du début en fait, comme c’était le morceau qui allait clôturer la trilogie et comme je t’ai dit tout à l’heure, je voulais mettre plus de couleurs sur cet EP, un peu moins de tristesse, un peu moins de sombre et tout mais comme c’était le morceau qui allait tout clôturer.
Je voulais repartir un peu du début tu vois donc ça ressemble plus au premier EP en termes de thèmes, dans l’écriture et tout mais ça termine sur une note positive, c’est ça que je voulais faire en fait.
Si tu pouvais ne garder qu’un seul son sur cet album ce serait lequel et pourquoi ?
C’est très dur franchement (rires)… je les aime tous mais j’ai une petite préférence pour le morceau « Mon coeur » parce je trouve la prod incroyable et au moment où on a fait ce morceau j’ai senti que j’avais passé un petit cap en termes d’écriture, en termes de mélodies et même sur le fait d’aérer les morceaux car moi je suis vraiment un kicker à la base et pour ça mes beatmaker m’ont beaucoup aidé.
Je dis mes beatmaker parce qu’on fait la musique à trois, c’est à dire qu’ils ne me proposent pas juste des packs de prod après se chargent de la réalisation, on fait vraiment la musique ensemble comme si on était un groupe. Ils m’ont beaucoup aidé sur le truc d’aérer les morceaux, même pour les couplets. Ne pas découper tout le temps, laisser de la place pour que les gens comprennent. Ce morceau là, j’avais l’impression d’avoir passé un petit step et j’aime beaucoup ce titre.
Le premier son que tu te rappel avoir écouté et qui t’as vraiment marqué ?
Je pense que ça doit être un son de Renaud, je ne saurais pas te dire forcément lequel. Peut-être, un classique, un genre de « Mistral gagnant ». En fait, Renaud c’est le premier artiste que je me suis approprié. C’était de la musique qui était disponible chez moi mais moi quand j’étais tout seul à la maison, j’aimais bien aller fouiller dans les cd, je mettais du son et j’étais tombé sur ça. J’étais vraiment tout petit mais c’est un de mes premiers souvenirs de musique qui m’a choqué genre je me suis dit « ouah c’est trop chaud ce qu’il dit » et ça ne ressemblait pas à ce que j’avais l’habitude d’entendre, tu vois, ce truc engagé, cette manière de parler, pour moi Renaud c’est un rappeur donc c’est le premier artiste qui m’a vraiment mis une baffe.
Tu ne montres pas ton visage ? Qu’est ce qui a encouragé cette décision ?
Il y avait une phrase de Rohff dans un morceau où il disait « si c’était à refaire, comme Daft Punk, je resterais anonyme » et cette phrase, je ne sais pas pourquoi elle m’a marqué. Je me suis dit « ouais, tant qu’à faire ». Il y a plusieurs choses mais rien que le fait de se dire que si jamais ça fonctionne, je peux faire ma vie tranquille car je suis quelqu’un de discret de nature. Je suis très sociable et tout, j’aime bien aller vers les gens mais je n’aime pas que l’on m’embête. Il y a aussi le fait que je raconte ma vie dans mes sons, je raconte une partie de ma vie. Je dis ça dans le sens où aujourd’hui, c’est devenu standard de s’inventer une life, tout le monde c’est El Chapo (rires)…
Et ne serait-ce que par rapport à ma famille où tu vois moi j’ai des amis de longue date, vraiment des gens en qui j’ai confiance, qui ne savent pas que je fais de la musique. Les gens qui sont au courant de ce que je fais sont un cercle très très restreint et je trouve que c’est bien comme ça. Je n’ai pas envie qu’un jour, on puisse montrer un truc sur moi à ma daronne. Mes parents ont travaillé dur pour m’élever et j’ai pas envie que l’image qu’ils aient de moi ça soit ça. Ça, c’est ma vie, mes problèmes. Et aussi artistiquement, ça permet de créer un univers. C’est toujours un petit peu décalé ce que l’on propose visuellement dans mes clips et je pense que s’il n’y avait pas la cagoule, ça serait difficile de mettre cet univers là.
Qu’est ce que tu aimes le plus dans le fait d’être un artiste, la création, la scène ou autre chose peut-être ?
Franchement, je dirais la création et la scène en vrai. Si je pouvais, je ne ferais que des maquettes car toute la partie du mix et du mastering c’est vraiment une torture pour moi parce que t’écoutes les sons sur différents supports et ça ne sonne jamais pareil et toi tu veux que ça sonne bien. En plus maintenant, je commence à apprendre de plus en plus mais je n’ai pas le langage d’un ingé son, ça veut dire que des fois, j’ai un truc en tête mais je ne sais pas comment l’exprimer et des fois c’est super frustrant.
Après les concerts, je kiffe trop ça. Déjà moi, j’ai fait beaucoup de boxe, j’ai fait beaucoup de compétition et je ressens un peu les mêmes émotions avec la scène, tu vois. Le trac avant l’adrénaline, la joie quand tu descends et que t’as fini. Pour moi, c’est la finalité du truc, tu fais de la musique c’est cool mais c’est bien de se confronter aussi aux gens et d’avoir les retours en direct parce que ça ne ment pas. Si tu n‘es pas bon et que tu n’as pas travaillé bah tu vas le ressentir directement. Et puis, c’est rare dans la vie de recevoir autant d’amour d’autant de gens au même endroit en un seul moment. C’est quelque chose d’un peu extraordinaire, je trouve.
Quelles sont tes ambitions ?
Déjà, je suis tellement reconnaissant des gens qui m’entourent depuis plusieurs années maintenant et qui ne prennent pas d’oseille donc je voudrais vraiment que ça fonctionne ne serait-ce que pour eux, tu vois. Pour qu’ils puissent gagner de l’argent et que ça ne soit pas du du temps et de l’énergie investi dans le vent.
Même si, c’est des passionnés, je sais que tout le monde kiffe. Je fais de la musique parce que même si c’est peut-être un peu moins vrai maintenant à la base j’écris parce que j’en ai besoin, parce que ça me fait du bien, que ça me permet de sortir des choses et je dis c’est un peu moins vrai maintenant parce que tu vois les morceaux plus ouverts que je peux faire maintenant, j’ai l’impression que je n’étais pas capable de les faire avant parce qu’il y avait des choses qu’il fallait que je dise, c’était nécessaire.
J’ai donc l’impression que ce cap là, je l’ai un petit peu passé, que j’ai dit tout ce que j’avais vraiment sur le cœur et que maintenant, je peux aller vers d’autres choses, vers des choses plus légères ou d’autres sujets, des trucs un peu moins personnel, un peu moins intime, un peu moins triste.
Quand les gens écoutent Euteika, qu’est ce que tu souhaites qu’ils retiennent de ta musique ?
Je voudrais que ça leur parle, qu’ils se reconnaissent là dedans. En fait, moi quand j’étais petit, il y a des artistes qui m’ont marqué. Il y a surtout des artistes qui m’ont fait gamberger, qui m’ont donner des axes de réflexion à travers leur musique que je n’aurais peut-être pas eu de moi même donc j’aimerais bien apporter ça aux gens.
Et même des fois, tu traverses des moments difficiles et t’écoutes du son et ça te fait du bien. Il y a des moments où tu traverses une mauvaise période que ce soit une rupture amoureuse, un décès, un truc compliqué et tu tombes sur un son qui parle de ça et tu te sens en connexion avec l’artiste donc tu te sens moins seul parce que tu te dis « il n’y a pas que moi qui ressent ça ». Donc si je devais laisser quelque chose ça serait ça. J’ai déjà reçu des messages qui disaient « je traverse une période difficile et ta musique me fait du bien ». Pour moi, c’est incroyable genre c’est fou de recevoir des messages comme ça et c’est le plus beau truc.
« Supernova » est disponible sur toutes les plateformes.