Alors que le Royaume-Uni s’enfonce peu à peu dans une crise sociale, un album sorti en 2002 décrivait déjà la dépression que vit le pays de la couronne. Son nom : Original Pirate Material, son géniteur : Mike Skinner a.k.a The Streets. Retour sur l’une des pièces majeures de la musique anglaise qui ne cesse de prendre de la valeur année après année.
Mike Skinner, un galérien parmi tant d’autres
Notre histoire commence à Birmingham, la deuxième ville la plus peuplée du Royaume-Uni mais également l’une des villes les plus industrielles d’Europe. Mike Skinner vient y vivre quelques jours après sa naissance en 1979. Issu de la classe moyenne anglaise, le rappeur décrit sa jeunesse comme un ennui profond symbolisé par la barre d’immeuble bétonnée présente sur la cover de l’album. Mike est cependant sauvé par la musique dès son plus jeune âge. A 5 ans, il obtient son premier clavier et présente un certain talent pour la mélodie. Sa jeunesse est ainsi rythmée par un apprentissage méthodique de la musique qui se concrétise par la construction d’un studio dans sa propre chambre au fil des années. A l’aube de ses 20 ans, Mike subsiste en travaillant dans un fast-food tout en tentant de créer son propre label, sans succès.
Pourtant le rappeur continue de créer de la musique dans sa chambre mal insonorisée. C’est ainsi que va naître “Has It Come To This”, le morceau qui va marquer une génération entière. Fort de cette création, Mike parvient à la diffuser par le biais du label Locked On. C’est un véritable carton. Le morceau atteint le top 20 des charts en Angleterre et touche même un petit public aux états-unis. Mike va dans cette dynamique forger Original Pirate Material avec un mini-budget de 4000 livres et une détermination sans pareille.
L’apogée du UK Garage ?
Un auditeur de grime ou de rap anglais n’aura aucun mal à s’habituer au son de The Streets. Dans le cas inverse, il faut d’abord comprendre que Mike Skinner propose avec Original Pirate Material une version novatrice du UK Garage. Ce genre qui connaît son heure de gloire dans les années 90 avec des artistes comme So Solid Crew et Craig David est en perte de vitesse en 2002. Le rappeur va y insuffler une fraîcheur émotionnelle comme on ne l’avait jamais vu.
Le UK Garage se reconnait directement par ses lignes de basses profondes et roulantes. Un style qui s’est avéré redoutable en club. Mike va cependant changer ce format en apportant un côté artisanal unique. Chaque morceau de Original Pirate Material est enregistré entre des matelas de fortune avec un micro de premier prix. Mais c’est ce qui fait finalement le charme de l’album. L’accent très prononcé de Mike donne un côté mystique à son écriture. Il installe un flow parfois très accéléré mais sait aussi rebondir plus lentement lors de phases importantes.
Son coup de génie va cependant se trouver dans sa capacité à varier les instruments sur chaque production. Original Pirate Material surprend dès son introduction avec un orchestre épique qui nous plonge directement dans les bas-fonds anglais. On retrouve un piano mélancolique sur “Has it Come to This”, de la trompette sur “Let’s Push Things Forwards” et même de l’électro sur “Don’t Mug Yourself”. Mais le chef d’œuvre de l’album est peut-être “Too Late”. Ce dernier met mal à l’aise au départ puis nous dirige dans un rêve éveillé avec un violon planant. Mike réussit ainsi à donner de la magie au triste décor qu’il l’entoure.
Turn the page
En termes d’ambiances, Original Pirate Material est une pure merveille. Mike décrit dans les moindres détails le style de vie qu’il mène et donne un aperçu réaliste de « l’Angleterre ennuyeuse”. “Has It Come To This” nous décrit la journée typique d’un jeune marginal, en passant par les jeux vidéos, la consommation de cannabis et les trajets de trains. La vie de Skinner tourne en rond à l’image de “Same Old Thing” et seul les notes de musiques semblent rythmer sa vie.
L’humour potache de “Don’t Mug Yourself” et “The irony of it All” n’est qu’une façade des sentiments de Mike. Ses angoisses sont caractérisées par des ruptures amoureuses comme sur “Too Late” qui témoigne de ses incessants faux plans dans le passé. Mais aussi par un sens du bonheur qui s’éprend de trouver.
L’album nous emmène finalement vers une belle philosophie : celle de tourner la page et d’aller à la prochaine étape. Le rappeur recommande la positivité et livre un récital au sein de l’outro du projet. On garde donc l’image d’un rappeur qui nous veut du bien et qui finit par combattre ses démons de l’ennui.
Original Pirate Material reste l’un des monuments du rap anglais. Son approche bidouillé et ses thèmes qui touchent de nombreux jeunes ont marqué plusieurs générations. De nombreuses têtes d’affiches comme Stormzy ou Loski ont été touchées par cette musique aussi triste que réconfortante qui s’incruste parfaitement dans la période du brexit.
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