Detroit aurait pu se contenter de J Dilla pendant de nombreuses décennies au vu du tempérament si particulier que le producteur infusait à la ville. Malheureusement, un arrêt cardiaque emporte ce dernier en 2006, laissant derrière lui une scène hip-hop désemparée. De ses cendres renaîtra un autre grand producteur qui n’est par malchance pas né à la bonne époque : Apollo Brown.
Directement influencé par Madlib et Dilla, ce vagabond venu de Grands Rapids va remettre au goût du jour l’art du sampling et va en porter l’étendard durant toute la décennie des années 2010. Ultra productif, Apollo va livrer de nombreux projets à partir de 2007 en privilégiant le format collaboratif. Ainsi ce sont des grands noms de l’underground comme Boog Brown, The Left et O.C qui vont rejoindre l’aventure.
Avec le dernier rappeur cité, Apollo Brown se lance dans un grand défi. Celui de réaliser un album boom bap conforme aux traditions tout en apportant un côté moderne. O.C de son côté est déjà respecté comme l’un des meilleurs rappeurs de New-York mais il a néanmoins moins bien passé les époques contrairement à certains de ses confrères du D.I.T.C. Trophies sonne donc comme un tournant à prendre pour les deux artistes et on peut s’en exagérer dire qu’un petit classique s’apprête à naître.
La renaissance d’un frustré
Apollo est issue d’une famille ouvrière et il découvre le rap en 91 avec Breaking Atoms, le classique de Main Source. A 16 ans, il s’initie au beatmaking grâce au logiciel Cool Edit qui est de base plus utilisé pour les mixages radios que pour la production de beat. Ses débuts dans le rap sont marqués par un passage dans un groupe nommé Black Day in July à l’université. Cela sera de courte durée puisque Apollo montrera rapidement un dégoût du rap aux débuts des années 2000. Irrité par un mouvement qu’il juge formaté par les maisons de disques, il fait une pause conséquente de deux ans pour revenir en 2007.
Il revient avec une compilation nommée Skilled Trade qui lui offre une première visibilité au sein du Michigan. Deux ans plus tard, sa carrière prend un envol avec sa participation aux Detroit Red Bull Big Tune Championships et la sortie de Make Do. Il est alors repéré et signé chez Mello Music Group ou l’on peut retrouver des artistes comme Odissee et L’Orange. 2010 marque enfin le début de sa grande régularité. Il envoie notamment la compilation Clouds et le très bon Gas Mask avec The Left. Arrive ensuite Trophies en 2012, que DJ Premier va classer comme son album préféré de l’année.
O.C, de Brooklyn au D.I.T.C
Beaucoup plus loin sur la côte est, O.C a déjà marqué Brooklyn de son empreinte depuis plusieurs décennies. Débutant dans le rap sur un titre de Organised Konfusion, O.C est également présent sur le remix de Back To The Grill de MC Serch en 92 avec un certain Nasty Nas. Serch va être une figure importante dans son début de carrière. Il va signer O.C sur sa structure en 94 et l’amène à rencontrer Lord Finesse et Buckwild. Le D.I.T.C est ainsi né et le rappeur sort son premier album du nom de World…Life.
La reconnaissance va cependant arriver pour O.C avec Jewelz, son deuxième album sorti en 97. Puis en 2000 avec la sortie de l’unique album du D.I.T.C qui est aujourd’hui un classique du rap New-Yorkais. Son passage au nouveau millénaire est néanmoins plus en dilettante avec des albums ratés et des choix discutables comme son album StarChild, uniquement sorti en Europe et au Japon. Trophies marque finalement son vrai retour dans le jeu avec à la manœuvre une large palette d’ambiances diverses.
Le Michigan, un concentré d’émotions
Apollo Brown trouve directement son inspiration en regardant Detroit, que ce soit par sa fenêtre ou dans sa voiture. Il aspire l’essence de la ville pour livrer au sein de Trophies un vent à la fois mélancolique et triomphant. Et même si certaines productions de l’album sont tirées de Clouds, elles sont largement remises en valeur par le flow de O.C.
La plupart de Trophies est marqué par une teinte très soul, ce qui rappelle forcément la légendaire Motown de Detroit. Mais Apollo va bien au-delà d’un Boom Bap classique. Sa marque de fabrique, à savoir des drops très agressifs contraste avec le spleen de la plupart des productions. Ainsi des titres comme “The Formula” ou “Anotha One “ nous proposent une ballade épique dans le froid Michigan.
Les titres qui se démarquent cependant dans l’album sont “Prove Me Wrong” et “Signs”. Le premier est un sample d’un artiste quasiment inconnu du nom de Barry Forgie. Avec son atmosphère reposante et à la fois mystique, ce beat à tout de suite marqué les esprits de la planète Hip-Hop. The Alchemist notamment reprendra la prod pour le titre “Throw It Away” de Evidence. Le second est une production datant de Clouds. A la fois électronique et vaporeuse, cette production est un parfait alliage du moderne et de l’ancien Boom Bap. Elle nous emmène dans les nuages, comme si Apollo Brown avait parfois besoin de s’échapper de sa ville tant étendue.
Le trophée d’un roi sans couronne
“Je n’ai pas besoin de ces putains de trophées ou nominations, je fais cette chose uniquement car je l’aime”. Voilà comment O.C lance de façon explicite le fil rouge de Trophies. En sous entendu, le rappeur montre son dégoût d’un rap devenu trop commercial dans les années 2000.
Pour faire face à une époque qu’il n’accepte pas, le rappeur s’engage dans des métaphores dont il a le secret. Il prend la forme d’une tempête sur “Nautica”, s’accapare les codes de l’art de la guerre sur “Just Walk” et se compare même à Ghost Rider sur “The Pursuit”. Trophies est aussi rempli de nombreuses références aux années 80-90 laissant les souvenirs d’une époque révolue flotter tout au long de l’album. Une part de nostalgie s’empare ainsi du jugement de O.C. Il rappelle à de nombreuses reprises son attachement au D.I.T.C dans l’album et s/o de nombreuses légendes comme The D.O.C et Common.
L’aspect revanchard du rappeur n’est néanmoins pas à prendre comme une offensive. Ces quelques regrets cachent en réalité un amour du rap intense qu’on ressent à chaque versets de Trophies.
La vraie récompense pour O.C se trouve finalement dans le cœur. Être en symbiose avec son art relève ainsi du plus beau trophée que peut espérer un artiste.