Savant mélange entre les UGK de Houston et les Outkast d’Atlanta, Big K.R.I.T. est l’autre valeur sûre du Dirty South. Loin des sonorités Trap d’ATL et à des années lumières du « Country Rap » porté par Lil Nas X, retour sur les dix ans de carrière du rappeur du Mississippi.
Héro local
Big K.R.I.T., né sous le nom de Justin Scott est originaire de Meridian dans l’état du Mississippi. Coincé entre l’Alabama, l’Arkansas, la Louisiane et le Tennessee, autant dire que la jeunesse de Justin était on ne peut plus calme. Il sort ses premières mixtapes à partir du milieu des années 2000. Il compose d’ailleurs lui même ses beats. De son propre aveux, il commencera à composer sur le jeu vidéo MTV Music Generator sur Playstation.
Il se retrouve sous les projecteurs début 2010. Tout d’abord en faisant une apparition sur Pilot Talk du rappeur de la Nouvelle Orléans, Curren$y. Puis, il fera une deuxième apparition sur la mixtape classique Kush & Orange Juice de Wiz Khalifa. Mais c’est quelques mois plus tard que sa carrière va connaitre un véritable coup d’accélérateur. Au mois de Mai 2010, il sort gratuitement sur internet sa mixtape K.R.I.T. Wuz Here. Portée par le single Hometown Hero, qui va chercher un sample de la chanteuse britannique Adèle, la tape est un franc succès.
Un cocktail de Houston, saupoudré de touches sudistes.
Loin des standards de la Trap Music, qui pullule dans les quartiers du Sud des USA, K.R.I.T. s’inspire d’autres modèles. Outre Biggie Smalls et Tupac Shakur, ses idoles sont UGK, Outkast, 8Ball & MJG ou encore son confrère du Mississippi, David Banner. Des légendes sudistes qui ont placés Houston, Atlanta et Memphis sur la carte du Hip Hop.
Décollage imminent
K.R.I.T. Wuz Here remonte aux oreilles de Sha Money XL, alors Vice President de la section A&R (Artists & Repertoire) chez Def Jam. En gros, il était chargé de trouver et développer de nouveaux talents pour son label. Ce dernier fera signer KRIT en priorité sur Def Jam. Un an plus tard, le magazine XXL donnera un nouveau coup d’accélérateur à sa carrière. Il partagera la cover de ce dernier avec Kendrick Lamar, Meek Mill, Mac Miller et YG, entre autres, pour la promo des Freshmen 2011. Il en profite pour sortir sa deuxième mixtape, Return of 4eva, cette même année.
Rap N Blues
Si K.R.I.T. Wuz Here était largement inspiré de l’univers de Houston, Return Of 4eva vient plus titiller les fans d’Outkast. Avec des musiques teintées de Blues et des chants à la frontière entre Devin The Dude, autre légende de Houston, et Pimp C, cette nouvelle mixtape fera l’unanimité auprès de la presse spécialisée et des auditeurs.
Le tour de force de K.R.I.T. est d’avoir réussi à convaincre Def Jam de lui laisser carte blanche sur Live From The Underground, son premier album en major. Car oui, le projet est à l’image du rappeur. Ca sent la campagne sudiste. On reste dans la lignée des trois mixtapes précédentes (4eva N A Day est sorti quelques mois avant l’album). Si on veut faire la fine bouche, oui on aura remarqué les quelques samples bien cramés de Willie Hutch sur I Got This, ou bien celui des Commodores de Lionel Richie sur le superbe Porchlight.
Les ventes ne sont pas au rendez-vous mais les louanges pleuvent. La presse souligne les lyrics de K.R.I.T., de plus en plus innovantes et engagées. Dans la foulée, sa mixtape King Remembered In Time sera nommée dixième meilleur mixtape de l’année par le magazine XXL en 2013.
Cadillac du futur
Il y a des moments dans une carrière où rien ne peut t’arriver. Tu sors projets sur projets et les louanges arrivent par millions. Mais il suffit qu’un collègue de boulot arrive et mette le feu aux poudres pour te remettre dans le droit chemin. On raconte que l’élaboration de ce deuxième album solo, Cadillactica, est dû au désormais célèbre couplet de Kendrick Lamar sur Control de Big Sean. Au lieu de sortir un nouveau projet similaire aux précédents, K.R.I.T. innove.
D’abord, il laisse d’autres personnes s’occuper de la production: DJ Dahi, Jim Jonsin, DJ Khalil, Alex Da Kid. Ensuite, il maîtrise mieux son flow et son chant. Enfin, les choix artistiques sont audacieux et assumés. Pay Attention avec Rico Love aurait pu tomber dans un son R&B mielleux très stéréotypé, et finalement non. On aurait également pu tomber dans un son rock alternatif lambda sur Saturdays = Celebration, en featuring avec le groupe Jamie N Commons, et finalement non. Il va même chercher Lupe Fiasco sur l’excellent Lost Generation alors que ce dernier est dans le creux de la vague à cette période. La comparaison est très facile mais tellement évidente: ce Cadillactica est à l’image du ATLiens des Outkast, simple et avant gardiste à la fois.
Where Is K.R.I.T. ?
S’en suivra un hiatus de trois ans, où K.R.I.T. se séparera de Def Jam pour créer sa propre structure, Multi Alumni. Pour ce troisième album, le rappeur du Mississippi propose finalement un double album: 4eva Is a Mighty Longtime. La recette ne change pas, si il est toujours présent à la production, il laisse malgré tout encore un peu plus la main à d’autres beatmakers. C’est ainsi qu’on retrouve DJ Khalil, Mannie Fresh ou les légendes d’Atlanta: les Organized Noize. Ces derniers sont d’ailleurs les auteurs de la superbe collaboration posthume avec Bun B et Pimp C sur Ride Wit Me. Si ce côté country est toujours présent, on notera une touche un peu plus Soul avec des samples de voix pitchées disséminées ici et là.
K.R.I.T is here
Neuf ans après K.R.I.T. Wuz Here, Big K.R.I.T. sort la suite de sa tape: K.R.I.T. Iz Here. L’album change un peu de direction artistique. Comme pour signifier qu’il a fait le tour depuis 2010, qu’il est temps maintenant d’évoluer et de passer au stade supérieur. Si on retrouve malgré tout son identité musicale sur la majorité du projet, on trouvera aussi quelques titres aux vibes d’Atlanta plus récentes. Non pas que ça entache la qualité de l’album, loin de là.
Let me tell you about this country shit
Autant lorsque Nelly avait sorti son premier album Country Grammar, je trouvais le terme Country Rap un peu péjoratif. D’autant plus que le rappeur de Saint Louis jouait clairement sur cette image avec pleins de clichés dans ses clips. Mais lorsque Lil Nas X a déboulé avec son titre Old Town Road avec son clip encore plus stéréotypé, j’ai trouvé ça pire. Enfiler une salopette ou une tenue de Cow-Boy ne veut pas dire tout de suite qu’on fait du Country Rap.
En plus de dix ans de carrière, K.R.I.T. est resté fidèle à ses origines et son identité, celle du Mississippi. Il est là le vrai country side des USA. De la découpe de sample de blues millimétrés, aux utilisations de sons typiquement sudistes dans ces beats comme les Cow-bells, le rappeur n’est jamais tombé dans le cliché de la musique sudiste. La qualité de la discographie mériterait qu’il postule au titre de King of the South. Mais qu’importe, Roi ou pas Roi, K.R.I.T. sera toujours là, et il le dit lui-même: 4eva is a Mighty Long Time.
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